Astuce d’écrivain #2 : la Technique de l’abat-jour

La technique de l'abat-jour, ou comment se débarbouiller des incohérences qui parfois se glissent dans un roman !
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Nicolas Parisi
Cofondateur du Club, auteur de nouvelles parues dans diverses revues, je m’intéresse particulièrement à la stylistique et ses applications pratiques à l’écriture. En lire plus

Astuce d’écrivain #2 : la Technique de l’abat-jour

La technique de l'abat-jour, ou comment se débarbouiller des incohérences qui parfois se glissent dans un roman !

Astuce d’écrivain #2 : la Technique de l’abat-jour

La technique de l'abat-jour, ou comment se débarbouiller des incohérences qui parfois se glissent dans un roman !
La technique de l'abat-jour

Les astuces d’écrivain, c’est un peu les cartes qu’on a cachées dans sa manche : on s’en sert quand la partie semble ne pas aller dans un sens qui nous arrange.

 

Un de vos chapitres refuse de fonctionner malgré toutes vos réécritures, vous ne savez pas comment aborder telle scène ou une incohérence traîne dans votre scénario… c’est le moment de sortir une astuce de votre manche.

 

Et après s’être penché sur la prétérition la dernière fois, on va maintenant parler de la technique de l’abat-jour !

C'est quoi la technique de l'abat-jour ?

La technique de l’abat-jour consiste à faire remarquer une incohérence ponctuelle (que ce soit dans votre histoire, dans votre univers, chez un de vos personnages) par un des personnages.

 

C’est bizarre comme nom « technique de l’abat-jour », n’est-ce pas ? Ça fait un kung-fu de l’écrivain, comme « la prise du tigre », « le coup de la mangouste », mais en plus mobilier que mobile.

 

Bref, un abat-jour c’est le truc qu’on met sur une lampe pour éviter que la lumière projetée par l’ampoule ne nous attaque les yeux. Et puis ça tamise, ça crée une ambiance sympa.

 

De la même façon, faire remarquer une incohérence par un de vos personnages permettra d’éviter que cette dernière ne pique un trop les yeux et la logique de votre lecteur.

Le problème des incohérences

Il n’y a rien de pire pour sortir un lecteur de votre roman qu’une incohérence. Immédiatement, ça nous sort de l’histoire, on fronce les sourcils et on s’arrête pour réfléchir.

 

Ça peut être le fait qu’un de vos personnages devienne soudainement droitier alors qu’il était présenté comme gaucher depuis le début, ça peut être un problème de dates qui ne concordent pas, un personnage mort qui revient soudainement à la vie comme si de rien n’était parce que vous avez oublié l’avoir tué quelques chapitres auparavant, ou même de parler d’un domaine que vous ne connaissez pas.

 

C’est d’ailleurs pour ça que beaucoup d’auteurs écrivent sur des domaines qu’ils connaissent, que leurs personnages exercent des métiers qu’ils ont pu exercer, qu’ils font énormément de recherches, etc… : les histoires qu’ils nous racontent sonnent vraies.

 

Inversement, n’êtes vous jamais tombé sur un livre où l’on sent que ce qui représenté par l’auteur n’est issu d’aucune réelle expérience, mais d’une vision fantasmée du milieu qu’il décrit ? C’est bourré de petites incohérences — que l’on ne perçoit peut-être pas si on n’est pas du milieu — mais qui nous laissent l’impression d’un manque global de crédibilité.

 

Par exemple, je ne m’aventurerai pas à écrire une histoire qui prend place au sein d’une équipe de soignants uniquement parce que j’ai pu tomber sur des séries qui en parlent.

 

Et concrètement, à quoi ça sert la technique de l’abat-jour ?

Imaginons que je sois pris d’une forte inspiration, je me mets à écrire très vite, juste assez vite pour suivre la course effrénée de mon personnage qui tente par tous les moyens de s’enfuir de l’hôtel où il est. Il dévale les escaliers, saute les dernières marches et se précipite vers la porte-tambour de l’autre côté du hall de la réception. Je décris la pression immense, la peur, le souffle rauque, le sang qui martèle à ses tempes une rythmique suffocante, la chute qu’il esquive de peu alors que le large tapis persan glisse sous ses pieds, comment il se jette contre l’un des battants et, finalement, la profonde inspiration d’air frais qu’il prend une fois sorti de là.

 

Je suis content, j’ai tapé à toute allure et mon passage me semble bon.

 

Oui, mais petit problème : j’ai oublié que l’hôtel était bondé et qu’à cette heure-là, la réception devrait être pleine de touristes.

 

Alors qu’est-ce que je fais ? Je réécris le passage et je fais ralentir mon personnage tandis qu’il crawl comme il peut à travers la marée humaine ? Mais dans ce cas-là, le truc qui poursuivait mon personnage aura le temps de le rattraper et aussi de s’en prendre aux touristes. Non, j’ai vraiment besoin que la foule ne soit pas là. Donc il faudrait que je supprime tous ces touristes, qu’ils ne soient jamais arrivés ? Mais à cette saison, à cet endroit-là, c’est plein de touristes… Il faudrait que je change la ville et/ou la temporalité ? Non, je devrais réécrire tout mon roman…

 

Bref, c’est là qu’intervient la technique de l’abat-jour : il me suffit de faire remarquer à mon personnage que c’est bizarre que la réception soit vide à ce moment-là. Et hop, le lecteur ne s’en offusquera pas plus que ça. Il se dira « ouais, c’est vrai que c’est bizarre ! », se demandera comment ça se fait puis haussera les épaules et continuera sa course en avant aux côtés de mon personnage.

Les limites de la technique

Je pense que cette technique fonctionne parce qu’on est tous bien conscients de la profonde incohérence de l’univers dans la vraie vie. Ou du moins que la somme de toutes les causes et chaines de réactions qu’elles entrainent est par trop complexe pour que le monde autour de nous ne nous apparaissent pas comme par moment incohérent.

 

Mais une histoire est une construction. Et les histoires qui fonctionnent un peu trop comme la vraie vie, déjà on y croit pas, et en plus c’est pas super intéressant.

 

Combien de fois votre vie a-t-elle changé de cap à cause d’une coïncidence ? Combien de fois un évènement qui n’était absolument pas prédictible vous est-il tombé dessus ?

 

Ça, c’est pour la vraie vie. Mais dans une histoire, si vous vous reposez trop sur les coïncidences, le lecteur se dira tout simplement que ce n’est pas crédible et que vous ne faites aucun effort.

 

C’est pareil pour la technique de l’abat-jour. Un personnage qui relève une incohérence, on peut l’accepter ; ça ne brise plus la cohérence globale vu que c’est intégré à l’histoire : le personnage lui-même s’en rend compte.

 

Par contre si votre personnage relève quinze incohérences par page, là c’est le lecteur qui va s’en rendre compte…

 

Et de la même façon, le fait qu’un de vos personnages revienne à la vie pourra difficilement être mis sur le dos d’une coïncidence. J’imagine mal quelqu’un qui dirait : « ah, mais t’étais pas mort toi ? C’est bizarre quand même… bref, on s’en fout, reprenons l’histoire où elle était ».

Conclusion

La technique de l’abat-jour peut s’avérer extrêmement utile, voire même salvatrice par endroit.

 

Mais ça reste une astuce

 

Trop vous reposer dessus risque d’avoir l’exact effet inverse sur votre lecteur. Le but, ça reste qu’il croit à l’histoire que vous lui racontez.

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