Dynamiser son récit #3

Dynamiser son récit, c'est faire des choix qui nous suivront tout au long de l'écriture. Points de vue et temps du récit en font partie !
Mathieu Begot
Mathieu Begot
Salut, moi c’est Mathieu ! Je suis passionné par les genres de l’imaginaire, la culture japonaise, mon chien et les commentaires que vous laissez sous mes articles ! En lire plus

Dynamiser son récit #3

Dynamiser son récit, c'est faire des choix qui nous suivront tout au long de l'écriture. Points de vue et temps du récit en font partie !

Dynamiser son récit #3

Dynamiser son récit, c'est faire des choix qui nous suivront tout au long de l'écriture. Points de vue et temps du récit en font partie !
Dynamiser son récit avec la concentration d'un cycliste

Salut les écrivains, et bienvenue dans ce troisième numéro de la suite d’article consacré aux outils qui nous permettent de dynamiser – d’une manière ou d’une autre – notre récit !

Nous nous sommes jusqu’à présent intéressés à de l’ultra factuel (rythmique des phrases, gestion des ruptures de paragraphes), aux apports de la stylistique (jeu des sonorités, modulation de l’apport d’information) et aux interactions possibles entre dialogues, pensées et narrations (discours libres et narrativisés).

On s’attaque aujourd’hui à un article sur les changements de point de vue et les temps du récit.

Vous êtes prêts ? Alors c’est parti !

#6. Les changements de point de vue

Avant toute chose, notons que la notion de « point de vue », quoique liée à la « focalisation », en est différente. La focalisation concerne uniquement le choix effectué par l’auteur quant au positionnement de son narrateur : interne, externe ou omniscient.

Un « point de vue » désigne, dans un récit, le fait qu’un narrateur se fixe sur un personnage plutôt qu’un autre à un instant T. Dans une narration « interne », il désigne ainsi le moment narré par un narrateur-personnage particulier.

Attention ! Les quelques outils qui vont suivre peuvent s’appliquer dans tous les types de focalisation, une seule mise à part. Laquelle ? L’interne dotée d’un seul personnage-narrateur.

Cette configuration, parce qu’elle ne propose qu’un seul point de vue, est privée des interactions dont nous allons parler.

#6.1. Multiplicité des points de vue et perception de l’univers du récit.

Votre  récit définit un univers qui lui est propre. On le conçoit bien dans le cadre de la SFFF, mais cela s’applique à toutes les formes de récit possibles et imaginables.

Cet univers, qu’il s’agisse d’un lycée où se déroulera une romance secrète, de l’entreprise qui verra l’ascension sociale d’un assistant d’assistant ou d’un empire elfe corrompu par la magie du sang, c’est vous qui le construisez et le déployez sous les yeux de votre lecteur. Il possède ses règles, ses habitudes, sa vie, etc.

Multiplier les personnages sur lesquels se fixe votre narrateur, et donc les points de vue qu’il met en avant, vous permettra de développer les différents aspects de votre roman à travers des points de vue de tous ou une partie de vos personnages.

De fait, le cumul des ressentis et réactions de différents personnages face à un même aspect de votre univers, et ce au travers de la narration qui naviguera des uns aux autres, vous permettra d’offrir à votre lecteur une perception plus élargie de votre roman.

Prenons l’empire elfe. Le fait qu’il soit « corrompu par la magie du sang » est l’un des points forts de votre récit. Utiliser les points de vue de trois ou quatre personnages différents, comme :
1 Une madame Toulmonde n’en ayant absolument pas conscience ;
2 Un addict aux effets de la magie du sang, qui se promet à chaque fois que c’était la dernière ;
3 Une jeune noble découvrant à peine cette magie et désireuse de la maîtriser ;
4 Un sans-abri vendant son propre sang pour survivre ;
Vous permettra de donner bien plus d’information sur la réalité de cet empire que si vous vous étiez lancé dans une grande tirade explicative.

D’autant que ces quatre points de vue n’ont pas à être l’objet de quatre trames narratives différentes ! Ils peuvent par exemple tous connaître une même personne et se « servir d’elle » comme accès à la narration !

#6.2. Changement de point de vue et complétion du récit.

Ce point est très, très proche du précédent. Leur différence existe dans le « niveau » sur lequel ils opèrent. L’outil 6.1. permet une meilleure perception du cadre du récit, et donc de son niveau macroscopique. Sa grande force étant qu’il n’exige pas un enchaînement des différents points de vue.

L’outil dont je vous parle ici a pour objectif de compléter la perception du lecteur au niveau microscopique (action/ scène), par le biais d’un changement de point de vue.

Ce changement peut avoir deux objets profonds.
1 Naviguer entre deux points de vue ou plus, très rapidement, pour offrir au lecteur une vision globale et humaine de l’action.

Dans l’exemple de la romance dans un lycée, il pourrait s’agir, lors d’un débat entre plusieurs élèves, de jongler entre ceux qui débattent et ceux qui observent pour avoir une vision d’ensemble, mais aussi découvrir les caractères de différents personnages.
2 Donner au lecteur une information que le personnage dont on a quitté le point de vue ne possède pas. Une forme d’ironie dramatique, en somme.
Toujours dans l’exemple de la romance, admettons que nos deux jeunes lycéens espèrent cacher leur histoire pour être à l’abri des commérages du lycée. Pour ce faire, ils ne se mettent en binômes que dans un seul cours, toujours le même. On pourrait avoir d’abord le point de vue de l’un des deux, très convaincu de l’aspect imparable de leur stratagème… Puis celui du professeur qui soulignerait que la classe n’est pas dupe et que tout le monde les épie.

#6.3. Changement de point de vue et rupture « critique ».

Il s’agit ici de faire l’exact contraire que dans le point précédent et de priver le lecteur d’informations que le ou les personnages impliqués auront à leur disposition.

L’objectif est très clairement de frustrer votre lecteur, de créer une rupture à un moment où il VEUT savoir ce qui va arriver à l’instant T dans l’espace E. Ca n’est que dans cette configuration, en privant le lecteur de quelque chose que vous lui avez fait miroité depuis plus ou moins longtemps, que l’on parlera de « rupture critique ».

Prenons comme exemple… Le roman dans l’entreprise 😉. Votre lecteur sait qu’une promotion va être accordée et que trois personnages sont en lice, dont le personnage principal. Les grands pontes discutent et, alors que cela devient intéressant, le téléphone de l’un d’entre eux sonne. Le narrateur se fixe alors sur cette conversation sans trop d’intérêt, plutôt que celle dans le bureau qui intéresse pourtant le lecteur !

Vous pourrez même, dans cette configuration, donner des bouts de LA conversation au lecteur sans qu’il en ait le contexte. Frustration garantie.

#7. Les temps du récit

On attaque ici l’un des outils dynamiques les plus mésestimés parmi les outils « formels ».

Les temps du récit sont inhérents à l’écriture. Leur combinaison, ainsi que les interactions qui en découlent, donne au lecteur un grand nombre d’informations sur ce qu’il visualise.
Le premier élément déterminant dans les temps du récit, réside dans le choix effectué au début de l’écriture du projet : présent ou passé ?

#7.1. Le présent, pour absorber son lecteur.

Les temps du présent (présent et passé composé) ont pour particularité de permettre à la narration de donner une impression de simultanéité au lecteur. L’action, les descriptions… Tout ce qu’il lit advient au moment où il le lit, au contraire des temps du passé.

Imaginons deux incipit bateaux : « Notre histoire commence dans la petite ville de J… » & « Notre histoire commença dans la petite ville de J… ». Outre leur manque cruel d’originalité, ces deux incipit montrent la grande différence dont je vous parlais il y a quelques lignes, en ce que le deuxième indique implicitement une histoire qui est en réalité déjà terminée, qui aura peut-être même valeur de témoignage ou de mémoire.

Mais ça n’est pas encore l’heure de s’intéresser aux temps du passé !

La simultanéité induite par le présent est d’ailleurs renforcée lorsque l’action est décrite au travers d’une suite de verbes.

Jean recule, dégaine sa lame. Il observe l’homme en face de lui, remarque les failles dans sa garde et lui assène un estoc bien senti.

On notera d’ailleurs qu’il n’est pas nécessaire d’écrire une scène d’action pour que cela marche :

Jean se lève rapidement, se dirige vers la cuisine. Il lance la cafetière, attrape le journal sur la table et s’installe un instant devant la fenêtre. Il observe le ciel pâle et dégagé, espère que cela durera toute la journée. 

#7.1.1. Un problème.

Il y a néanmoins un problème, avec le présent. Bien que puissant lorsqu’il s’agit d’absorber le lecteur dans l’action, il manque de nuance. Ce que j’entends par là, c’est que le présent, seul, ne permet pas de déterminer l’importance des actions, ou encore lesquelles sont au premier ou second plan.

Faites donc bien attention à utiliser des connecteurs (tandis que, pendant que) pour ne pas embrouiller malgré vous votre lecteur !

#7.1.2. Le passé composé, accompli du présent.

Bien évidemment, lorsque l’on écrit un texte au présent, on n’a pas que le présent simple à notre disposition. On dispose également du passé composé.
Ce qu’il faut noter, c’est que le binôme « présent/ passé composé » n’est EN AUCUN CAS un équivalent du binôme « passé simple/ imparfait ». Le passé composé est ce que l’on appelle « l’accompli du présent », ce qui signifie qu’il désigne une action de durée variable, mais terminée dans le présent.

La relation qu’entretiennent ces deux temps (accompli et inaccompli) les rend très appropriés pour effectuer des glissements à la fois temporels et logiques dans l’action, de quoi faire passer efficacement votre lecteur à autre chose !

Reprenons l’exemple précédent, avec Jean qui se lève. Admettons que vous vouliez exposer une première journée type de notre cher Jean, de sorte que le lecteur se rende compte d’à quel point sa vie est banale. Les verbes au présent vous permettront de développer chaque microaction des « étapes » de sa journée (réveil, déplacement vers le travail, matinée de travail, repas, etc.), tandis que les passés composés seront idéaux pour narrer les transitions ou de mini-conclusions !

#7.2. Le passé, pour plus d’outils.

La narration au passé – qu’elle soit issue d’un choix conscient ou d’une préférence personnelle – met immédiatement deux outils à votre disposition : le passé simple et l’imparfait.

Ces deux temps permettent de mieux cadrer votre action, car :

 

> Le passé simple permet de narrer des actions généralement brèves et toujours terminées. Ce sont ces verbes qui porteront le « cœur dynamique » de votre récit : « Jean se réveilla, retourna son oreiller et se rendormit immédiatement. » ;

> L’imparfait permet de développer des actions presque assimilables au décor, ou des actions répétées par habitudes : « Jean se réveillait, retournait son oreiller et se rendormait immédiatement. ».


Est-ce que vous voyez la différence entre les deux exemples ?

Dans le premier, on imagine que la narration opère d’un zoom sur une nuit très précise où Jean s’est réveillé, et on pourrait presque s’attendre à ce qu’il y ait une explication qui, tôt ou tard, nous sera donnée.

Dans le second, Jean semble avoir des problèmes récurrents de sommeil et qu’ils font partie intégrante de ses spécificités en tant que personnage.

Cette combinaison de deux temps vous permettra de développer différents plans d’actions à votre lecteur, ce qui lui facilitera la compréhension des différentes dynamiques (ou absences de dynamique) que vous désirez mettre en avant dans votre récit ! Partant de là, ce binôme me semble plus simple à manipuler que la simple utilisation du présent… Mais rappelez vous que chacun d’entre eux à son utilisation, alors ne les confondez pas !

Bien, les deux aspects du « grand choix » ayant été développés, attaquons-nous à des outils un peu plus… Techniques !

#7.3. Le futur, la forme prophétique.

Le futur désigne l’après, dans un récit. Il permet développer ce qui va advenir ou, plus précisément, ce qui semble être une suite certaine, et ce quelles que soient les péripéties qui nous en séparent.

Cette puissance quasi prophétique permet de propulser le lecteur au delà de l’instant où il se situe dans la narration. Le futur devient, grâce à ce point, un outil dynamique très intéressant qui permet de créer des attentes chez le lecteur… Attentes qui ne seront peut-être remplies que trois cents pages plus tard !

Admettons par exemple une phrase de type « Ils iront au palais de l’empereur, ils iront et défendront leurs droits et leurs vies. ». Grâce cette phrase toute simple, vous indiquez au lecteur que vos personnages se lancent effectivement dans leur quête et qu’ils y parviendront…
Mais cela s’arrête là. Vous ne lui donnez ni les modalités du voyage ni les péripéties… Vous ne lui dites mêmes pas qui est ce « ils » et s’il implique le groupe de départ ou si les trois quarts d’entre eux mourront au fil du roman. L’emploi est donc idéal en fin de chapitre ou de « grande conversation » pour relancer votre lecteur et lui faire tourner la page (littéralement).

Notons d’ailleurs que l’emploi du futur en tant que forme prophétique est réservé aux textes au présent ! Il faudra, dans le cadre de textes au passé, employer des conditionnels présents qui prendront alors une valeur de futur dans le passé : « Ils iraient au palais de l’empereur, ils iraientet défendraient leurs droits et leurs vies. »

#7.4. Les irréels, ce qui aurait pu.

Derniers outils du jour : les irréels. Les irréels (du présent ou du passé) sont des structures temporelles complexes de type « Si + imparfait OU plus-que-parfait, + conditionnel présent OU passé ».

 

Ex 1, irréel du présent : S’il venait, la situation serait différente.
Ex 2, irréel du passé : S’il était venu, la situation aurait été différente.

 

Cette structure assez simple permet de narrer l’action par ce qui n’advient pas, mais qui aurait pu s’il y avait eu un changement (porté dans la première proposition, en « Si … »). Cette structure permet de créer un sentiment d’attente très fort chez le lecteur, en ce qu’il SAIT ce qui n’advient pas, mais pas ce qui advient.

On peut ainsi lui exposer une version très différente de la réalité avant de la briser pour le replonger dans la réalité pure et dure du récit. Idéal pour les sadiques, donc.

Pour conclure ?

Voilà qui conclut ce troisième article sur les outils qui servent à influer sur le dynamisme de vos récits.

Le premier outil du jour – la gestion des points de vue – nous permet tant au niveau micro que macro de dynamiser l’apport d’information au lecteur, qu’il s’agisse de lui en apporter plus… Ou de le priver de ce qu’il désire !

Les temps du récit, quant à eux, peuvent agir à de nombreux niveaux : absorber le lecteur dans l’action, lui proposer une meilleure vision d’ensemble… Ou encore créer et jouer avec ses attentes.

Bon… Maintenant que cet article est fini, sachez que nous en avons fini avec les articles stylistiquo-grammatico-techniques (pour cette série j’entends). Nous allons désormais nous intéresser aux éléments de fonds (conflit, méthodes de transmission d’informations, histoire d’avant, etc.) qui permettent de dynamiser un récit !
J’espère dans tous les cas que ces trois premiers articles ne vous auront pas trop ennuyés et, le cas échéant… Désolé : la grammaire restera toujours ma matière préférée !

Pour aller plus loin :

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