Schéma narratif : pourquoi créer un roman à trames multiples

Ou comprendre comment ça se fait que vous ayez fini ce roman de gare en deux jours alors qu'il était plutôt mauvais (et que vous ne vous souvenez même plus exactement de ce qu'il s'y passait)
Nicolas Parisi
Nicolas Parisi
Cofondateur du Club, auteur de nouvelles parues dans diverses revues, je m’intéresse particulièrement à la stylistique et ses applications pratiques à l’écriture. En lire plus

Schéma narratif : pourquoi créer un roman à trames multiples

Ou comprendre comment ça se fait que vous ayez fini ce roman de gare en deux jours alors qu'il était plutôt mauvais (et que vous ne vous souvenez même plus exactement de ce qu'il s'y passait)

Schéma narratif : pourquoi créer un roman à trames multiples

Ou comprendre comment ça se fait que vous ayez fini ce roman de gare en deux jours alors qu'il était plutôt mauvais (et que vous ne vous souvenez même plus exactement de ce qu'il s'y passait)
Une ampoule pour signaler l'idée d'un roman à trames multiples

Je pense qu’on sait tous plus ou moins ce qu’est un schéma narratif. On l’a vu au collège : on a une situation initiale qui va prendre place dans un certain lieu, une certaine temporalité et mettre en scène certains personnages dont au moins un principal. Ensuite un élément déclencheur vient perturber tout ça, quelques péripéties s’ensuivent qui nous amènent au dénouement et voilà, on atterrit à la situation finale.

Ça, c’est une trame simple.

Nous, ici, on va se pencher sur la question des trames multiples et de pourquoi vous avez tout intérêt à structurer votre roman selon ce modèle. Parce que, soyons honnêtes, le lecteur moderne n’est plus celui qui pouvait sans problème avaler 600 pages de gentilles évolutions émotionnelles sans que l’auteur ait recours à quelques artifices structurels.

Les habitudes de lecture évoluent, adaptons-nous !

C’est quoi un roman à trames multiples ?

Comme son nom l’indique, c’est un roman dont l’histoire se compose de trames différentes. Ça veut dire qu’on peut suivre, au sein d’un chapitre, les aventures de Monsieur Toulmond qui était sorti acheter une baguette en bas de sa rue. Alors qu’il ouvrait la porte de sa boulangerie, M. Toulmond recula de stupeur.

Qu’y a-t-il dans cette boulangerie pour que M. Toulmond recule ainsi de stupeur ?

On ne le sait pas, parce que c’est ainsi que se termine ce chapitre. Et au chapitre suivant, on découvre Diego, sur le point d’annoncer à Virginie qu’il en fait la réincarnation de Hitler. Il lui dit : « Virginie, je t’aime et je ne peux pas continuer à te mentir plus longtemps… Virginie, je suis la réincarnation de Hitler. »

Virginie reste sans voix. Leur amour pourra-t-il survivre à une telle révélation ? Leurs vacances en Pologne seront-elles reportées ? Ah… Tellement de suspens ! Vite, tournons la page !

Oh non… On est de retour à M. Toulmond. Mais ce n’est pas grave, j’ai quand même vachement hâte de découvrir en quoi les histoires de M. Toulmond et de Diego sont liées !

Voilà, ça, c’est le cas le plus basique de trames multiples. Mais avant de parler de ce que je trouve le plus intéressant, c.-à-d. faire l’inventaire de tous les types de constructions à trames multiples possibles, on va quand même discuter de l’intérêt de structurer ainsi son roman.

Alors c’est parti, passons en revue les effets cools qu’une structure à trames multiples peut mettre en place ou créer chez le lecteur. J’en ai trouvé 5 :

#1 : L’effet Putaclick

Alors oui, Putaclick est un nom qui fait peur si on cherche à faire de la qualité. On est tous déjà tombé sur des romans incroyablement creux que l’on n’arrivait pourtant pas à lâcher. On commençait à lire et, le moindre chapitre s’arrêtant sur un cliffhanger, on se tapait le suivant (qui lui aussi se terminait sur un cliffhanger) uniquement pour savoir ce qu’il se passait après le chapitre n-1.

Mais, ce n’est pas parce que des mauvais romans font ça pour justifier leur « manque de qualité », qu’un roman qui met ça en place est nécessairement mauvais. Mon sentiment (qui peut être erroné) est qu’il faut replacer le lecteur au centre de ce que l’on écrit. Et si créer un effet putaclick permet d’augmenter le confort de lecture, tant que l’on ne sacrifie pas la qualité, je pense qu’il n’est pas bête de se servir de cet outil qu’est la structure à trames multiples. D’autant plus que cet effet n’est pas le seul.

#2 : Le sentiment de fatum, ou la curiosité de découvrir en quoi les trames sont liées

Si un roman contient au moins deux trames, n’importe quel lecteur aura la conviction que ces trames sont connectées d’une façon ou d’une autre. Honnêtement qui ne se demanderait pas en quoi les destins de M. Toulmond, l’homme qui aimait acheter son pain en bas de la rue, et de la réincarnation d’Hitler sont liés ?

C’est ça le fatum : le fait que l’on ne sache avec certitude que ça va arriver, même si l’on ne sait pas comment. C’est ce « comment » qui attise la curiosité du lecteur et le pousse à lire plus en avant. Vous, écrivain, tissez des trames entre elles jusqu’à ce qu’un schéma, qui échappait jusque là au lecteur, lui soit enfin révélé.

#3 : La prescience artificielle

J’ai dû un peu me creuser la tête pour nommer cet effet, mais pas de panique, je vous explique ce que j’entends par là. Le sentiment de prescience artificielle, qu’on appelle aussi ironie dramatique, intervient lorsque l’on a accès à des informations, qui nous permettent de déterminer l’issue d’une situation, alors que les acteurs de ladite situation n’y ont pas accès. Ça n’est pas de la prescience, ces informations nous ont été données, mais l’on voit se dérouler (avec horreur, joie, jubilation… etc.) cette scène dont on connaît déjà la fin.

Lorsque plusieurs trames sont en place, on peut sans avoir recours à des artifices, offrir au sein d’une trame des informations au lecteur qui ne seront pas accessibles aux personnages des autres trames. Cela permet de jouer sur la façon dont le lecteur perçoit une situation, d’amener des quiproquos qui n’auront pas besoin d’être explicités… etc.

#4 : Multiplier les chances que le lecteur s’attache à un personnage fort

Que le lecteur s’attache ou s’identifie à un personnage est probablement quelque chose que l’on souhaite tous. Malheureusement, nous sommes tous différents et créer un personnage universellement attachant me semble clairement impossible. Mais multiplier les trames, c’est multiplier les chances que le lecteur s’attache fortement à un de vos personnages.

Et vous savez ce qui est génial si ça devait arriver ? C’est que même si une des trames (nécessaire à l’avancement de votre intrigue) n’a que moyennement accroché votre lecteur, il ne lâchera pas pour autant sa lecture là ; il lira ce chapitre uniquement pour retrouver, au chapitre suivant, ce personnage qu’il apprécie tant.

#5 : Insérer des ellipses avec style

Dans l’esprit du lecteur, ce n’est pas parce que l’on passe à une autre trame que la précédente se fige dans le temps. Le temps continue d’avancer pour les personnages qui n’apparaissent pas dans la trame en cours. Cela peut autant être une contrainte : vous ne pouvez pas reprendre à l’exact instant où vous vous étiez arrêté. Il faudra avoir recours à un court passage au plus-que-parfait par exemple pour faire le lien entre le présent de la trame que vous reprenez et le moment où cette dernière s’était stoppée. Mais cela peut aussi vous permettre d’insérer avec subtilité des ellipses efficaces.

Je ne m’étendrais pas sur la question des ellipses parce que ça serait une bien trop grosse digression et surtout parce que Mathieu a déjà écrit un excellent article sur les ellipses narratives (que je vous recommande chaudement).

Les différents types de trames multiples

On a vu en quoi c’était intéressant de mettre en place une structure à trames multiples. Et c’est bien beau tout ça, me direz-vous, mais si mon roman ne se prête pas du tout à ça, je fais quoi, moi ?

Alors je vous dirai d’attendre qu’on ait passé en revue tous les types de structures à trames multiples, parce qu’il pourrait bien y en avoir une dans le tas qui retienne votre attention.

La classique : des personnages différents, une même temporalité

C’est la structure qu’on évoquait en intro. C’est celle utilisée par une grande majorité des romans de type easyreading qui se vendent si bien, mais aussi par beaucoup de romans appartenant au genre de la SFFF. Si on devait citer deux auteurs connus qui ont recours à cette construction, on pourrait aussi bien citer George R.R. Martin que Guillaume Musso.

Et, quelle que soit votre opinion de ces auteurs, personne ne peut nier le succès de leurs œuvres.

La blanche : un même personnage principal, mais des temporalités différentes

Le nom de « blanche » ne s’applique peut-être pas très bien, mais il me semble que beaucoup de romans modernes appartenant au genre de la littérature blanche ont recours à une structure à trames multiples de ce type. L’un des meilleurs exemples est Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon de Jean-Paul Dubois. Le personnage narrateur est coincé en prison. On le suit, dans son présent, être confronté à la réalité de la prison et, avant que le lecteur ne soit lassé par les routines de son quotidien, on se retrouve à explorer son passé à ses côtés.

On retrouve l’aspect Putaclik (basculer d’une trame à l’autre de façon à maintenir élevé le niveau d’attention du lecteur), mais aussi le sentiment de fatum : de quelle façon ces deux trames vont-elles se rejoindre, c.-à-d. quel est l’événement, intervenu dans le passé du personnage, qui l’a conduit à se retrouver en prison ?

Mettre en place une structure à trame multiple de ce type peut être une excellente idée si vous travaillez sur un roman qui ne serait pas un « roman à sensation ». Vous pouvez vous concentrer sur des thématiques qui vous tiennent à cœur, sans pour autant risquer de perdre votre lecteur.

La Twist : lorsqu’on était pourtant sûr qu’on était face à un cas classique

La twist, c’est quand on croit, par exemple, que l’on a affaire à des trames mettant en scène des personnages différents au sein d’une même temporalité et que l’on découvre finalement que c’était un seul et même personnage au sein de temporalités différentes (c.-à-d. qu’une des trames avait valeur de flashback). Le meilleur exemple que j’ai pour cet exemple particulier est la série Westworld.

Un autre exemple de structure à Twist est 1Q84 de Haruki Murakami. On croit avoir affaire à une structure à trames multiples classique : un homme et une femme qui font leur vie et seront un jour amenées à se rencontrer et on réalise à la fin du premier tome qu’ils n’habitent pas le même monde.

L’intermédiale : lorsque les coupures avec la trame principale appartiennent à un medium différent

Ce que je nomme structure à trames multiples intermédiale correspond à ces œuvres dont les trames principales seront rythmées par l’apparition de passages appartenant à des media (ou des formats ou des genres) différents.

Cela correspond à des chapitres qui pourraient ne consister qu’en un long article de journal, extrait de livre, journal intime, poèmes… etc.

Ainsi employer le terme d’intermédialité est un abus de langage, car ces exemples appartiennent tous au medium du livre. Mais ce choix de mot provient d’une volonté de laisser ouverte la possibilité d’intégrer des passages appartenant à un autre medium. Des écrivains plus doués que moi trouveront sûrement comment faire ça habilement, et ce serait dommage d’exclure cette possibilité en employant un langage trop précis.

La saga : des nouvelles mettant en scène un même personnage dans des temporalités différentes

C’est un format qu’on ne retrouve plus énormément de nos jours, mais qui a permis à un des personnages les plus emblématiques de l’histoire de l’heroic fantasy d’émerger : Conan Le Cimmérien.

Le fonctionnement actuel du monde de l’édition ne supporte pas le format Pulp. Les nouvelles sont perçues comme des exercices de style avant d’être de véritables œuvres. Et pourtant, de nouvelle en nouvelle, Conan a pu se retrouver roi, voleur, pirate… etc.

Et c’est ce format-là, de nouvelles aux trames indépendantes les unes des autres, qui a permis d’élever ce personnage au rang de mythe : chacune des nouvelles ne nous paraissant que comme un des derniers et rares morceaux d’une histoire totale qu’on imagine incroyable.

La mise en abîme : Les recueils dont les nouvelles sont fédérées par une trame générale

Au sein d’un recueil, les nouvelles ont toutes une trame qui leur est propre. Et l’on ne peut parler de trames multiples au sens où l’on l’entend pour un roman dans la mesure où, dans le cas des recueils de nouvelles, ces trames ne sont liées d’aucune façon.

Pourtant, il est possible d’établir une trame générale qui liera en son sein toutes les nouvelles du recueil. C’est notamment le cas de L’Homme Illustré de Ray Bradbury : le personnage principal rencontre un homme couvert de tatouages animés. Chacun de ces tatouages représente une nouvelle du recueil.

Conclusion

Si j’ai pu avoir l’air d’encenser les structures à trames multiples, c’est que je crois sincèrement qu’elles permettent d’accompagner le lecteur plus efficacement dans sa lecture.

Mais tout ceci est à prendre avec un certain recul. Déjà, il existe de merveilleux et très modernes romans qui n’ont pas eu à mettre en place de structure à trames multiple pour rencontrer leur lectorat. Si votre roman, l’histoire que vous voulez conter, ne se prête pas à une telle structure, n’allez pas le forcer à se conformer à ce modèle.

Ensuite, ce serait incroyablement triste si tous les romans adoptaient une telle structure. La littérature me semble devoir être un terrain d’expérimentation plus que la recherche d’une « recette à succès ».

Cependant, si votre premier jet n’a pas fonctionné auprès de vos lecteurs tests et que vous ne voyez vraiment pas comment l’améliorer, il peut être intéressant de réfléchir à restructurer votre roman selon un des modèles de trames multiples. Ça demandera sûrement beaucoup de boulot, mais c’est peut-être tout ce qu’il manque encore à votre roman pour rencontrer son public.

4 réponses

  1. Bonjour et bravo pour cet article.
    Concernant le chapitre “L’intermédiale : lorsque les coupures avec la trame principale appartiennent à un medium différents”, je vous propose de citer certains (excellents) romans de John Brunner, dont “Tous à Zanzibar”, “Le troupeau aveugle”.
    Très cordialement,
    XL

    1. Bonjour Xavier,
      Je ne connaissais pas John Brunner et effectivement, du peu que j’ai vu ça pourrait bien coller ! Je l’ajoute à ma liste de lecture et au cas je le citerai dans cette partie.

  2. Très bon article!
    Je me permets de réagir sur quelques points:
    – pour le “fatum”, Arturo Perez Reverte joue sur ça dans Le Club Dumas: le héros doit résoudre deux intrigues en parallèle… qui en fait ne sont pas du tout liées;
    – pour l’utilisation de différents genres dans un même roman, Dracula de Bram Stocker me semble être un bon exemple (articles, journaux intimes);
    – une intrigue complexe peut aussi passer par différentes merdes qui arrivent à un même personnage, lequel doit batailler sur plusieurs fronts en même temps. Jasper Fforde fait beaucoup ça (et en abuse parfois??) dans la saga Thursday Next. Exemple: l’héroïne doit résoudre une intrigue complexe dans le Monde des Livres, tout en étant menacée par la multinationale Goliath dans le monde réel; pendant ce temps, son père lui parle d’une menace dans l’espace-temps qu’elle doit régler dans les prochains jours et elle doit lutter contre un ennemi invisible… Si c’est mal géré ce sera confus, mais si c’est bien géré le résultat en sera haletant. Chez Fforde, ces menaces sont souvent (mais pas toujours) indépendantes entre elles, mais les différentes résolutions s’emboîtent avec brio.

    1. Salut Matthieu !
      C’est vrai que je me suis beaucoup concentré sur l’aspect “séparé” des trames, que ce soit aux niveaux temporel, spatial et formel, et que j’ai oublié la possibilité de trames multiples mettant en scène un même personnage, au sein d’un cadre spatio-temporel similaire, mais qui doit faire face à des intrigues différentes.
      ça ouvre notamment la possibilité d’un autre article sur la question de “trame principale” et “trame secondaire”, typiquement : un héro qui doit sauver le monde (par exemple), mais en même temps il est amoureux de son amie d’enfance et il ne sait comment faire pour le lui dire. Bon, c’est ultra cliché, mais on a pu voir dans beaucoup d’oeuvre (notamment au cinema) que c’est quelque chose qui marche bien.
      Et sinon c’est bien vu pour Bram Stocker, c’est effectivement Dracula que j’avais en tête en écrivant le passage sur l’utilisation de medium différents !

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