Lufthunger Club

À l’époque Mathieu se concentrait sur l’écriture de romans et moi, je commençais à être publié dans des appels à textes et autres concours de nouvelles. J’avais fini lauréat d’un concours de nouvelles et évidemment, j’étais aux anges. J’ai débarqué tout fringant à la cérémonie, en chemise et veste de costard, un manuscrit dans ma sacoche et un sourire d’apparat enjôleur au cas où je tomberais sur un éditeur.

J’ai très vite déchanté. Tout le concours n’avait pour but que de mettre en avant les organisateurs et les ateliers d’écriture qu’ils organisaient. Ils ont passé la cérémonie à s’autocongratuler pendant que les autres lauréats et moi-même les regardions faire avec des grands yeux révulsés d’incrédulité.

Le recueil a été imprimé en un nombre ridicule d’exemplaires, qui n’ont jamais été vendus ailleurs qu’à cette cérémonie et à d’autres qu’aux auteurs qui avaient participé.

Et on ne m’a jamais fait signer de contrat pour cette nouvelle.

Lufthunger ! Pour les non-germanophones, ça veut dire faim d’air. C’est un mot inventé par Kafka dans sa nouvelle Les recherches d’un chien.

Dans cette nouvelle, le personnage principal, un chien (oui, la mascotte ne sort pas de nulle part !), s’isole de ses congénères et se met à jeûner afin de réfléchir à quelques questions existentielles.

Et il y a un passage, qui semble presque directement adressé au lecteur, dans lequel ce chien se désole de sa condition, du fait qu’il soit si seul dans cette quête qu’il mène, cette quête d’air, de métaphysique, et il se demande si quelqu’un se reconnaîtra jamais dans sa lufthunger.

Eh bien on s’est reconnu dedans. Pour toutes les soirées, les nuits, qu’on a passé à écrire seul, sans trop savoir pourquoi on faisait ça, mais parce qu’on sentait qu’il fallait.

Et comme on est pas des petits flocons de neige merveilleux, on s’est dit que d’autres, aussi, devaient être animés par cette Lufthunger.

Alors, pourquoi ne pas monter un Club ?

En janvier 2020, nous avons lancé des réunions hebdomadaires gratuites sur Meetup avec pour but de rencontrer toutes celles et ceux qui pratiquaient l’écriture et qui avaient envie d’échanger à propos de leur passion. Ces réunions continuent aujourd’hui.

En parallèle, nous avons monté un site internet (celui-ci ! Mais dans une version bien plus brouillon à l’époque…) afin de publier des articles avec une idée simple : théoriser puis transmettre tout ce qu’on a dû apprendre par la pratique, en espérant que ça puisse aider les autres à progresser plus vite que nous.

Les réunions et le site ayant eu plus de succès que ce que nous avions anticipé, nous avons décidé de nous lancer, et d’organiser notre premier appel à textes.

Et ça a marché. Les auteurs ont répondu présents, des lecteurs nous ont fait confiance et nous ont soutenus… et nous sommes devenus éditeurs.

Depuis cette époque, on continue de faire avancer le Club, à notre mannière un peu… Lufthungerienne. En vrac, on :

• a fait un tour de France à vélo, avec des Pulps dans les saccoches, pour aller les présenter à des libraires
• lancé une chaine Twitch
• s’est tellement bien moqué de certains éditeurs à compte d’auteur déguisé qu’on a dû aller répéter nos blagues à des avocats puis à un juge
• fait une tournée en van des librairies d’Occitanie avec un caméraman pour tourner un reportage
• commencé à monter un projet d’ateliers d’écriture en prison
• et surtout : publié 3 pulps et une vingtaine d’auteurs.