C’est un mardi, à 10 heures du matin, que le téléphone a sonné. Vous décrochez et là vous comprenez qu’à l’autre bout du fil, c’est un éditeur qui vous parle :
Vous allez être publié.
Complètement sonné, vous acquiescez à tout. L’appel se termine et vous jetez un coup d’œil aux notes que vous avez eu le réflexe de prendre : RDV dans une semaine pour signer un contrat.
Si le génial cocktail d’adrénaline et d’endorphine que votre corps vous a servi n’a pas encore frappé, c’est le moment qu’il choisira pour vous jeter dans une espèce de béatitude toute fébrile.
Alors, avant de se précipiter et d’aller hurler au monde que « ça y est ! », on va se poser et lire cet article, parce que tout n’est pas rose au royaume de l’édition.
La première chose à faire quand un éditeur veut vous publier
Avant tout, il va falloir vérifier une chose : qui est cette maison d’édition qui a appelé. Vous devez déterminer ce que vous attendez de votre maison d’édition et si le mode de fonctionnement de l’éditeur qui vous a proposé un contrat correspond à cela.
Parce que vous aurez beau négocier votre contrat comme un chef, si ce que vous voulez c’est pouvoir retrouver votre livre sur les rayons d’une librairie et que la maison qui se propose d’éditer votre manuscrit ne fait que du numérique, vous allez avoir des surprises…
Et on fait ça comment ? Surtout, on garde son calme ! On va vous expliquer ce qu’est un contrat d’édition et comment éviter les pièges les plus fréquents.
C’est quoi un contrat d’édition ?
Un contrat d’édition, c’est un document légal que vous signez avec une maison. Ce document dit que, en échange d’un certain pourcentage sur les ventes (vos droits d’auteur), vous cédez à cette maison, non pas votre œuvre, mais le droit de l’exploiter (donc de la commercialiser).
Ça semble être un bon deal, non ?
Sur le papier, oui. Mais dans la réalité, la plupart des nouveaux auteurs sont tellement désespérés de voir leur œuvre être enfin publiée que certaines maisons d’édition peuvent être tentées d’en tirer parti.
N’oubliez pas que vous avez le droit de négocier votre contrat !
Surtout qu’un contrat d’édition, ça ne fonctionne pas exactement comme un contrat d’assurance où, si vous n’êtes pas satisfait, vous pouvez changer à tout moment. Ce contrat vous engage, vous et votre maison d’édition, et ne prend fin que sous certaines conditions très précises : soit il arrive à sa fin, soit l’une des parties ne respecte pas les clauses du contrat.
Alors, pour éviter de se faire avoir, il faut commencer par lire attentivement son contrat et faire attention aux pièges suivants :
Piège #1 : La durée du contrat
Un contrat vous engage pour toute la durée dudit contrat. Cette tautologie peut sembler un peu bête, alors on va agiter des chiffres qui font peur pour que vous compreniez bien : si vous n’avez pas défini de durée maximale à votre contrat, les droits d’exploitation que vous avez cédés ne retomberont dans le domaine public que 70 ans après votre mort.
Eh oui : si la maison d’édition avec laquelle vous avez signé est un peu retorde, elle s’arrangera pour conserver les droits d’exploitation de votre livre jusqu’à 70 ans après que vous soyez mort.
Pourquoi pas me direz-vous, tant qu’elle continue d’imprimer et de vendre votre livre, au contraire, c’est génial, non ?
C’est pas génial, non. Parce que même si les maisons d’édition ont l’obligation de continuer à imprimer et commercialiser votre livre, dans la pratique, cette obligation se traduit comme suit : si votre livre ne s’est pas super bien vendu, plutôt que de vous en rendre les droits, elles s’arrangeront pour toujours garder un ou deux exemplaires en stock (voire d’en imprimer un ou deux dans l’urgence si vous deviez les commander vous-mêmes histoire de les faire réagir) et ne seront donc pas en faute : le contrat ne sera pas rompu, vous ne récupérerez pas vos droits.
Concrètement, ça, ça veut dire que si vous n’avez pas défini de durée maximale à votre contrat d’édition, il existe une possibilité pour que plus personne ne puisse ne serait-ce que remettre la main sur votre livre, et ce jusqu’à 70 ans après votre mort.
Alors, négociez pour la mise en place d’une durée maximale ! Ne serait-ce que pour proposer les droits de votre livre à une autre maison d’édition si la première devait ne pas réussir à vendre beaucoup d’exemplaires.
Piège #2 : vos droits d’auteur
Vos droits d’auteur, c’est combien, en termes de pourcentage sur le prix de vente d’un exemplaire de votre livre, vous allez toucher. Ces droits vont souvent de 5 à 15 %, sachant que 8 % est déjà considéré comme peu.
Pourquoi on vous dit ça ? Parce que si vous êtes un nouvel auteur qui n’a jamais été publié avant, je suis sûr que vous seriez prêt à accepter 5 %… Et je vous comprends ! Mais gardez en tête que ça reste une mauvaise idée. Au-delà de rabaisser le niveau pour tous les autres auteurs, ça vous rabaisse vous-même et votre œuvre !
Ce que vous pouvez faire, par contre, c’est prévoir une gradation de vos droits suivant le volume de ventes. OK, peut-être qu’on vous a forcé la main : vous étiez inquiet et impressionné et malheureusement, vous avez accepté les 5 %. Ce que vous pouvez encore négocier, c’est d’augmenter ce pourcentage si jamais vous dépassez, disons, les 1000 exemplaires vendus. Puis un nouveau pourcentage pour les 3000, les 10000, les 50000… On ne sait jamais. Votre roman deviendra peut-être un bestseller !
Piège #3 : la reddition des comptes
Normalement, votre maison d’édition doit chaque année vous envoyer un rapport détaillant l’état des ventes de vos livres, ainsi que votre redevance (le pognon qu’on vous doit).
Dans la pratique, il arrive que ce ne soit pas le cas. Il se peut que vous receviez ce rapport tous les deux ou trois ans. Il se peut que vous le receviez en temps et en heure, mais présenté de telle sorte que vous n’y compreniez rien… Et il se peut aussi que votre maison d’édition ne vous envoie rien du tout et que vous n’ayez donc aucune solution pour ne serait-ce que savoir comment se portent les ventes de votre livre.
C’est un véritable problème, qui a notamment été soulevé par le Conseil Permanent des Écrivains dans leur rapport sur les contrats d’édition (lecture un peu longue, mais très intéressante).
Malheureusement, il n’y a, à l’heure actuelle, aucune solution concrète à ce problème. Vous pouvez essayer de négocier l’inclusion dans votre contrat d’une clause définissant la fréquence à laquelle vous recevez la reddition de vos comptes et la façon dont cette dernière doit être présentée, mais dans la mesure où les maisons sont, de base, tenues de le faire et ne le font pas toujours, il n’est pas sûr qu’une telle clause soit respectée.
À défaut, cela vous donnera une raison valable de rompre le contrat si la relation avec votre maison d’édition devait virer au vinaigre.
Piège #4 : le droit de regard sur la couverture, la quatrième, le titre et les modifications du manuscrit
Vous pensiez qu’une fois le contrat signé, votre œuvre allait être publiée telle quelle ? Eh bien pas nécessairement. Si vous ne demandez pas que soit incluse, dans le contrat, une clause stipulant que vous avez un droit de regard sur la couverture, la quatrième, le titre et même les possibles modifications apportées à votre manuscrit, votre éditeur risque bien de ne pas vous inclure dans le processus.
Gardez bien en tête ceci : le contrat d’édition est un document légal. Cela veut dire que, même si quelque chose semble tenir du bon sens, vous devez vous assurer que c’est bien écrit noir sur blanc quelque part.
Piège #5 : Le nombre d’exemplaires du premier tirage et d’exemplaires de promotion
Normalement, le nombre d’exemplaires du premier tirage sera précisé dans le contrat. Si ça n’est pas le cas, méfiez-vous ! Soit la maison d’édition avec laquelle vous vous apprêtez à signer est une maison d’édition à compte d’éditeur qui fait de l’impression à la demande (ce qui n’est pas un problème en soi, mais c’est quelque chose dont vous devez avoir connaissance avant de signer), soit elle compte éditer votre roman uniquement pour enrichir son catalogue et ne fournira aucun effort pour assurer la communication et diffuser votre œuvre.
Un autre point important est le nombre d’exemplaires de promotion que la maison d’édition prévoit d’imprimer. C’est quoi un exemplaire de promotion ? Tout simplement, un exemplaire qu’enverra gratuitement l’éditeur à des services de presse, des blogueurs…
C’est important que ce genre de choses soient précisées dans le contrat, parce que même si vous ne percevrez pas de droit d’auteur sur ces exemplaires, cela vous permet, déjà d’être impliqué dans le processus de communication autour de votre roman, mais surtout de savoir ce que compte faire votre maison d’édition en termes de promotion pour votre livre.
Et comme ça on en arrive à une partie difficile :
Piège #6 : ce que la ME compte vraiment mettre en œuvre en termes de promotion
Même si vous n’espérez pas un feu d’artifice sur les Champs-Élysées pour célébrer la parution de votre roman, vous vous attendez quand même (j’espère) à un minimum d’implication de la part de l’éditeur qui s’apprête à vous publier.
Mais vous allez me dire : « ça tombe sous le sens ! Au-delà des exemplaires de promotion, ils ont forcément prévu quelque chose ! ». Oui, ça tombe sous le sens… C’est pour ça que vous devez demander à ce que ce soit inscrit dans le contrat d’édition. Je ne pense pas qu’il soit possible de le répéter assez : même si ça vous semble évident, même si ça a été dit à l’oral, il faut que ça apparaisse dans le contrat.
Pourquoi ? Parce que si votre éditeur allait le faire de toute façon, ça ne le dérangera pas que ça apparaisse dans le contrat. Par contre, si ça le dérange, c’est qu’il avait peut-être prévu de ne pas mettre en place tous les efforts de communication dont il se vantait pourtant quelques instants auparavant…
Piège #7 : le pacte de préférence
Celui-là est pas mal ! Je vous explique : il est possible que votre éditeur inclue un « pacte de préférence » dans votre contrat. Qu’est-ce que c’est ? C’est une clause qui stipule que pendant une durée donnée (5 ans au maximum), vous ne pourrez proposer vos nouveaux romans (s’ils appartiennent au même genre que celui dont vous négociez actuellement les droits) à aucune autre maison d’édition.
Si vous êtes d’un naturel honnête, vous vous direz « Pourquoi pas ! Si ça se passe bien avec eux et puisque ce sont eux qui m’ont les premiers donné ma chance, je veux bien leur proposer tous mes prochains romans ! »
Oui, mais le problème c’est que, parfois ça se passe mal. Et parfois les lignes éditoriales évoluent. Imaginez 30 secondes la frustration que vous vivrez si vos quatre prochains romans devaient être refusés par votre maison d’édition, non pas parce qu’ils sont mauvais, mais simplement parce qu’ils ne collent plus avec leur ligne éditoriale. D’autres maisons d’édition pourraient pourtant être intéressées !
Oui, mais non. Vous avez signé un contrat. Il va falloir attendre 5 ans. Vous n’avez plus qu’à polir vos écrits en attendant d’être enfin libre. Oh ! Et le meilleur ? Ça s’applique aussi aux travaux collaboratifs. Vous et votre meilleur ami avez écrit un livre ensemble ? S’il a un pacte de préférence avec une maison d’édition et vous avec une autre, ce livre ne peut légalement être envoyé à aucune maison d’édition avant la fin de ces pactes…
Et si finalement vous décidez de céder au pacte de préférence, essayez au moins de maîtriser dans quelles conditions seront éditées vos prochaines œuvres chez eux. Ça veut dire faire rayer la mention qui précise que les prochains romans couverts par ce pacte seront publiés « dans les mêmes conditions ». Cela vous permettra de formuler de nouvelles exigences, ne serait-ce qu’au niveau de vos droits d’auteur.
Piège #8 : Les droits d’adaptation et le cas de la cession de ces droits
Qu’est-ce que c’est ? Ce sont les droits d’adaptation à l’écran de votre œuvre. Concrètement, si votre livre fait un carton ou tape dans l’œil d’un réalisateur, ce dernier voudra en acquérir les droits d’adaptation pour… l’adapter à l’écran, mais aussi le traduire, réaliser un audiobook, une BD… etc. Aujourd’hui, la loi oblige les maisons d’édition à vous faire signer un contrat séparé pour la cession des droits d’adaptation de votre roman. EN AUCUN CAS VOUS N’ÊTES OBLIGÉ DE SIGNER CE SECOND CONTRAT.
Les droits d’adaptation peuvent représenter beaucoup d’argent. Et même, au-delà de ça, quel intérêt de céder vos droits d’adaptation à une maison d’édition qui ne cherchera pas nécessairement à les exploiter et se contentera de les posséder, simplement « au cas où » ?
Mais si vous deviez finalement décider de leur céder les droits d’adaptation de votre roman, assurez-vous d’inclure une clause spécifiant que la maison d’édition n’a pas le droit de négocier en votre nom pour la cession à un organisme tiers (capable d’adopter votre œuvre à l’écran) de ces droits ou, à défaut, doit soumettre au préalable toute décision à votre accord écrit.
Vous aurez ainsi la possibilité de contrôler la façon dont sera adaptée votre œuvre à l’écran et peut-être (je dis bien peut-être) évitera-t-on une nouvelle situation à la Eragon.
Piège #9 : Les droits de reproduction et le cas de la cession à des tiers de ces droits
Pour les droits de reproduction, c’est un peu similaire aux droits d’adaptation, à la différence que la cession de ces derniers n’a pas à être faite sur un contrat séparé. Pas de panique cependant car, pour que des droits particuliers soient cédés, ils doivent être mentionnés sur le contrat. Aussi vous verrez certainement apparaître une clause qui les mentionnera.
Mais concrètement, c’est quoi les droits de reproduction ? C’est le droit de vendre votre œuvre au format de poche, le droit de vendre des produits dérivés (tee-shirt, figurines…), mais aussi dans le cas d’une pièce de théâtre, le droit qu’elle soit mise en scène et représentée !
Si vous avez cédé ces droits pour une pièce de théâtre, cela signifiera que le moindre metteur en scène qui s’y intéressera devra avant demander la permission de le faire, non pas à vous, mais à votre maison d’édition…
Enfin, comme pour les droits d’adaptation, assurez-vous d’inclure au moins une clause vous allouant un droit de regard en ce qui concerne la cession de ces droits à des tiers par votre maison d’édition.
Piège #10 : le cas du pilon et de la mise en solde
On en arrive à la partie la moins fun : le cas où votre livre a fait un flop complet. Si cela devait arriver, votre maison d’édition se retrouverait à devoir gérer un stock conséquent d’exemplaires qui ne seront jamais vendus. Or, stocker des bouquins, ça coûte cher. Que va donc faire votre maison d’édition ? Eh bien, s’en débarrasser bien sûr !
Pour cela, deux possibilités :
- le pilon : c.-à-d. les détruire
- la mise en solde : c.-à-d. les brader sous le coût de production sans payer l’auteur
Je sais que planifier la défaite, c’est pas nécessairement la meilleure voie. Mais croyez-moi, je pense que vous préférerez envisager cette éventualité plutôt que de la subir de plein fouet. Pour cela, pensez à inclure dans le contrat les clauses suivantes :
- mise en solde : que l’éditeur s’engage à vous tenir informé, au préalable, des soldes envisagées et que la mise en solde de tout le stock justifie une résiliation de contrat
- pilon : que vous ayez la possibilité de récupérer vos exemplaires restants en cas de mise au pilon
Les clauses clairement abusives pour ne pas dire carrément illégales
On vient de voir les pièges les plus communs. On va maintenant regarder rapidement les abus que l’on peut retrouver dans les contrats :
- si l’on vous demande d’acheter un certain nombre d’exemplaires (sous forme de précommande)
- si vous n’êtes rémunérés qu’à partir d’un certain nombre d’exemplaires vendus
- le droit de passe : la déduction de 10 % des droits d’auteur sur chaque tirage pour anticiper les invendus en librairies
Si vous tombez sur une de ces clauses, vous avez le droit de partir du principe qu’il y a définitivement quelque chose de pourri au royaume du Danemark : barrez-vous.
Le véritable problème lors de la signature d’un contrat d’édition
Les grosses maisons d’édition reçoivent plusieurs milliers de manuscrits chaque année. Si l’on vous rappelle pour vous proposer de publier votre roman, c’est un euphémisme que de dire que vous n’êtes pas en position de force pour négocier. Qu’est-ce qui empêche un éditeur de vous envoyer paître si vous essayez de simplement ne pas vous faire arnaquer ?
Techniquement, rien. Il a un arrivage constant de nouveaux manuscrits, et sa vie sera bien plus simple s’il publie le roman de quelqu’un qui est prêt à se faire exploiter dans tous les sens (du terme) plutôt que le vôtre.
Le rapport de force est complètement inégal. Mais ce n’est pas le pire : même si vous parvenez à signer un contrat à peu près juste, la loi est faite ainsi que vous aurez toutes les difficultés du monde à faire en sorte que l’on vous communique avec précision l’état des ventes de votre roman ou même, à récupérer vos droits même si votre éditeur ne fait plus que le strict minimum (c.-à-d. garder deux ou trois exemplaires en stock).
Conclusion
Faites bien attention aux 10 précédents pièges que l’on a évoqués. N’oubliez pas : VOUS AVEZ LE DROIT DE NÉGOCIER !
Et même si faire attention à ces 10 points ne règlera pas les problèmes fondamentaux que sont :
- l’inégalité des rapports de force entre vous et votre éditeur
- les redditions de comptes hétérogènes, incompréhensibles et irrégulières
- la possibilité pour les maisons d’édition de s’accrocher aux droits d’exploitation de votre œuvre, alors même qu’elles n’en font rien, en conservant simplement un stock minimal d’exemplaires
Vous serez quand même un peu moins exploité que si vous aviez signé le premier contrat venu, parce qu’être enfin publié vous a mis trop d’étoiles dans les yeux.