2 mai 2022

Écrire un roman – La méthode Truby, partie 2

Les grands éléments constitutifs de la méthode Truby !

Mathieu Begot

Bonjour à tous, et bienvenue dans cette deuxième partie sur la méthode Truby de construction narrative.

La dernière fois, nous avons vu que la méthode de John Truby se distancie de la majorité des structures narratives, car elle se veut organique et non mécanique. On y travaille autour du protagoniste pour créer l’histoire.

Le principe est assez simple : le personnage est au cœur de tout et la source de toute tension dans le récit (une interne et une externe, mais nous en avons déjà parlé).

Aujourd’hui, je vous propose de nous intéresser aux sept grands éléments qui se trouvent dans toute intrigue selon John Truby.

Il ne reste qu’une seule chose à noter avant de nous y mettre : ces sept éléments sont tous indéniablement liés, à des degrés plus ou moins importants évidement.

Oh ! Et pour les exemples, je me baserai sur la dernière nouvelle que j’ai écrite, Nacre (une prostituée dans un univers de fantasy post-apocalyptique) !

C’est parti !

La faiblesse et les besoins ont la base d’un premier équilibre pour votre personnage dans la méthode de Truby. Ce sont ces deux éléments (toujours liés) qui vont créer une matrice forte pour votre personnage et le rendre attachant.

Les faiblesses

Les faiblesses sont ce qui rend votre personnage humain (et, oui, votre elfe peut être humain) au sens d’imparfait. Ce sont elles qui le limitent dans ses actions et interactions et qui, finalement, l’empêchent de parvenir à ses fins.

On peut différencier deux types de faiblesses : psychologique et morale. Les premières limitent le personnage vis-à-vis de lui-même et lui font défaut, tandis que les secondes sont en rapport profond avec les autres (à cause d’elles, le personnage va blesser ceux qui l’entourent, même lorsqu’ils veulent l’aider).

Il n’est pas toujours obligatoire de cumuler les deux types de faiblesses (bien que ce soit conseillé). Si vous décidez néanmoins d’en avoir une de chaque, il est tout à fait possible de faire de la faiblesse psychologique la source de la faiblesse morale. Dans tous les cas, trouver une raison aux faiblesses vous octroiera une meilleure compréhension de votre personnage.

Le cas de Nacre. Pour un peu de background : Nacre est une prostituée travaillant dans un bordel (L’Écrin ocre) où elle est l’une des quatre filles les mieux traitées (elles seules ont une chambre individuelle). Au début de la nouvelle, elle se voit voler un client très très très dépensier par l’une des trois autres. Les faiblesses de ma chère Nacre sont les suivantes :

  • Faiblesse psychologique : parce qu’elle a commencé le tapin assez jeune et que sa position à l’Écrin n’est pas éternelle, elle ne voit sa propre valeur qu’à travers la prostitution. Au-dehors, elle n’est rien selon elle. Rien et seule.
  • Faiblesse morale : Parce qu’elle a toujours été endoctrinée par l’inquisition (un groupe censé connaître les raisons de l’apocalypse et clamant que la cité est la dernière du monde) et qu’elle ne se voit comme rien de plus qu’une prostituée, Nacre vit dans un monde clos et refuse purement et simplement tout ce qui pourrait la sortir de ce monde.

Le besoin

Le besoin du personnage, c’est une chose à accomplir/devenir qui lui permettra de dépasser les faiblesses précédemment évoquées. Attention : votre personnage ne peut pas savoir quel est son besoin dès le départ.

Vous pouvez néanmoins suggérer le besoin du protagoniste à votre lecteur (soyez subtil !) en le lui montrant entre les lignes !

Le cas de Nacre. Eh bien c’est tout simple : Nacre doit comprendre et accepter que sa valeur en tant que personne dépasse celle de sa fonction au sein de la cité. Qu’elle peut prétendre à autre chose que L’Écrin ocre. Pour cela, il faudra qu’elle commence par accepter que certaines de ses aptitudes sont ailleurs que dans le monde de la nuit.

Au contraire du besoin, qui est inconscient, le désir de votre personnage est une envie bien concrète. C’est un quelque chose qu’il veut obtenir ou accomplir.

Avant de vous donner le désir de Nacre, il y a quelques petites choses à noter dessus :

  • Votre personnage n’a pas à débuter nécessairement avec un désir (alors qu’il débutera toujours avec des faiblesses et un besoin) ;
  • Dans le cas où votre personnage découvrirait ce qu’il désire plus tard dans le récit, toutes les raisons sont bonnes (mimétisme, découverte d’une nouvelle chose, etc.) ;
  • Tous les désirs sont bons, du moment que votre personnage ne peut pas le réaliser dès le départ/ dès qu’il commence à le désirer ;
  • Le désir DOIT être lié aux faiblesses et au besoin de votre personnage selon le schéma suivant :

le DÉSIR nécessite que le personnage réalise son BESOIN

les FAIBLESSES empêchent le personnage d’accomplir son DÉSIR

le BESOIN permet de dépasser ses FAIBLESSES

Le cas de Nacre. Après s’être fait voler son client, Nacre s’est rabattue sur un nouveau client qu’elle décide initialement de « dévorer ». Elle réalisera peu à peu l’étendue de ses connaissances (il vient de dehors), mais comme il nourrit son besoin inconscient (s’illustrer ailleurs que dans la prostitution), elle ne le dénoncera pas. Vous vous en doutez sûrement : il se fera chopper un soir par l’inquisition et demandera à Nacre de sortir de la cité pour rejoindre une cachette et réparer une statue.
Il est là, le désir de Nacre : elle souhaite accomplir cette demande de son client en guise de « remerciement » pour tout ce qu’il lui a appris. Après tout, il a nourri son besoin inconscient et l’a aidée à lutter contre sa faiblesse morale.
Sauf que voilà : elle doit sortir de la ville, passer au travers de barrages d’inquisiteurs (qui refuseront probablement de la laisser passer) et faire une chose dont elle se doute qu’elle est très blasphématoire. Elle doit donc dépasser sa fonction de prostituée pour en embrasser une nouvelle, celle de rebelle contre l’ordre établi.

L’adversaire est un personnage dont le principe même est d’être une grosse épine dans le pied de votre protagoniste.

Purement et simplement. Le but de l’adversaire est double :

  • Empêcher le protagoniste de remplir ses objectifs ;
  • Réaliser son propre désir, qui d’une manière ou d’une autre est le même (ou presque) que votre protagoniste.

Parce qu’il est l’une des plus grandes sources de tension de votre récit (tension externe au protagoniste, donc bien plus palpable et potentiellement graphique), l’adversaire est un personnage à réfléchir et à soigner au moins autant que votre protagoniste ! Il n’a pas nécessairement besoin d’avoir une faiblesse et un besoin, mais il faut que son histoire, sa caractérisation, ses mimiques… Bref, il faut qu’il soit être vivant et non outil littéraire.

Mention spéciale, d’ailleurs, s’il parvient à faire mal au protagoniste en passant par ses faiblesses et en niant son besoin (parce qu’un bon bully est un bully traumatisant).

Le cas de Nacre. L’adversaire de Nacre est un inquisiteur anonyme (mais toujours le même) dont on ne voit jamais le visage. Il est le symbole même de l’inquisition et de l’ordre établi, a une position sociale forte et accès à des connaissances que Nacre ne pourrait imaginer sans son client. C’est d’ailleurs lui qui l’arrêtera et voudra le trépaner.
Face à lui, d’un point de vue sociétal, Nacre n’est rien de plus qu’une prostituée qu’il pourrait se payer en allant à l’Écrin.
Son désir est simple : conserver l’ordre établi et il se trouve finalement à l’opposé de celui de Nacre, qui désir outrepasser cet ordre établi. On pourrait presque dire que tous deux veulent faire prévaloir leur système sur celui de l’autre, même s’ils ne se le déclareront jamais.

L’adversaire est déclaré et le désir connu par le personnage… Il lui faut donc un plan (ou plusieurs) pour affronter cet adversaire.

Cette partie peut être très variable selon les récits :
— Dans certains récits, il s’agira simplement d’un temps de « préparation » : le protagoniste ne dit pas exactement ce qu’il va faire, mais il rassemble alliés, compétences et équipements qui lui permettront de parvenir à ses fins. Il peut évoquer ce qu’il va faire, mais ça n’est pas nécessaire ;
— Dans des récits de type braquage (pour ne citer qu’eux), il est nécessaire que le protagoniste raconte ce qu’il va faire au lecteur (que ce soit en le pensant ou en le racontant à d’autres personnages). Cela fait partie des codes de ce genre. Dans ce cas, il faudra créer un écart entre ce qu’il dit et ce qui arrive effectivement !

Le cas de Nacre. Nacre sachant qu’elle va avoir des problèmes, elle profite d’un jour de grand marché pour sortir de la cité.
Elle décide de s’habiller comme pour rejoindre un client de sorte à donner le change et de se diriger vers une porte de la cité éloignée du marché dans l’espoir de pouvoir passer entre les mailles du filet.

C’est le grand affrontement entre le protagoniste et son adversaire. C’est également l’un des grands climax du récit : la tension est à son comble et les deux partis « abattent » leurs cartes pour déterminer lequel parviendra à accomplir ses désirs.

Ce peut être une bataille armée, verbale, rangée ; être l’objet de plans intriqués lors d’une soirée ou un affrontement direct. Cet aspect-là vous appartient. Une seule chose est obligatoire : ce doit être dur pour le protagoniste et exploiter (dans une certaine mesure) toutes ou certaines de ses faiblesses.

À noter que le protagoniste doit également pouvoir montrer que son plan et ses préparations ne sont pas vains! Ce climax ne doit surtout pas être à sens unique, mais montrer une tension réelle et grandissante !

Le cas de Nacre. La bataille est avant toute chose une bataille de présence : l’inquisiteur anonyme garde la porte et Nacre n’arrive pas à aller au-devant de lui. Lorsqu’elle y parvient, il la domine en tout point (taille, vêtue d’une armure, quasi-nonchalance) et la terrorise.
C’est l’intervention d’une autre prostituée qui sauvera la mise à Nacre. Cette bataille, Nacre ne la gagne pas.

Après la bataille, le protagoniste doit tirer des conclusions de ce qu’il vient de se passer et prendre conscience de lui.

Cette révélation va permettre à votre personnage de comprendre ce qu’il doit effectivement faire pour parvenir à accomplir ses désirs. C’est d’ailleurs pour cela qu’il faut que la bataille soit rude pour votre protagoniste : c’est elle qui va lui permettre de comprendre « à la dure » ce qu’il doit faire.

Cette révélation va permettre de remplir son besoin inconscient et donc de dépasser ses faiblesses. Elle le rendra donc « parfait » pour le récit (c.-à-d. pour le dénouer).

Il faut prendre en compte que cette réalisation (qui fait tomber le masque du personnage et le met face à lui-même) peut absolument être négative et entraîner un changement de valeur fondamentalement mauvais pour le personnage (qui pourrait décider d’embrasser une ligne de conduite telle que « la fin justifie les moyens »).

Le cas de Nacre. Après avoir réparé la statue (et parce qu’elle le fera en présence de l’autre prostituée), Nacre comprendra qu’elle ne fait plus partie du même monde que les autres habitants de la cité et acceptera ce qu’elle savait depuis un moment : elle ne peut laisser son client se faire trépaner.
Elle rentrera donc au bordel avec dans l’idée d’empêcher l’inquisiteur de faire du mal à son client. Pendant qu’il fera un « show » sur une estrade, le client enchaîné à côté de lui le temps de préparer la foule avant de le trépaner, Nacre se mettra en position et tuera son client d’un carreau d’arbalète.
Sa révélation est qu’elle n’est plus (et n’a peut-être jamais été) un simple sujet de l’inquisition et du monde autour d’elle. Elle n’est pas qu’une prostituée, elle va bien au-delà et elle peut/doit prendre son destin en main maintenant qu’elle l’a compris.

C’est l’après. Un petit regard sur ce qui est advenu et adviendra du protagoniste. Ce nouvel équilibre n’a d’ailleurs que peu de chances d’être le même que celui du départ : toutes les expériences acquises au long du récit ont reformaté votre personnage autrement et, bien qu’elle ait retrouvé une forme d’ordre, sa vie n’est donc plus la même.

Il est néanmoins possible dans presque tous les cas d’avoir un retour à la normalité.

Si ça n’est pas le cas, si vous ne parvenez pas à réinstaurer de « normalité » autour de votre personnage, alors il est probable que vous soyez dans l’un des deux cas suivants :

  • La révélation de votre personnage est négative et il ne peut donc pas aspirer à un retour à la norme (le plus souvent il est rejeté/rejette les autres) ;
  • Vous êtes en plein milieu d’un ensemble de textes qui forment un seul grand récit, et ce texte-là se termine sur un instant charnière (le tournoi commence, l’ennemi arrive, etc.).

Si ce n’est pas le cas, n’hésitez pas à reprendre les différents éléments de votre récit et à les analyser pour comprendre de quoi il retourne… où à nous demander un petit coup de pouce.

Le cas de Nacre. Nacre a fui la ville après avoir tué son client. Elle se retrouve donc seule au dehors de la cité. Elle n’est sûre ni de ce qu’elle doit faire ni de ce qu’elle veut faire… Mais ainsi libérée des entraves de l’inquisition et persuadée d’avoir agi selon les volontés de son client, elle se sent prête à affronter ce monde post-apocalyptique.

Il y a sept (huit si on y réfléchit bien) éléments fondateurs dans tout récit selon John Truby :

  • Les faiblesses et le besoin, qui forment un équilibre interne au protagoniste ;
  • Un désir concret qui ne pourra être réalisé qu’en dépassant les faiblesses ;
  • Un adversaire pour empêcher le protagoniste d’atteindre son désir ;
  • Un plan pour vaincre l’adversaire
  • Une rude bataille qui déterminera qui est le plus à même d’obtenir ce qu’il veut ;
  • Une révélation lors de laquelle le protagoniste réalise ce qu’il est réellement et ce qu’il doit faire ;
  • Un nouvel équilibre qui montre en quoi le récit a changé le protagoniste.

C’est « tout ».

Alors bon, là vous allez sûrement me dire « t’es mignon Mathieu, mais ça ne fait pas un récit, ça. » Et vous auriez raison et tort à la fois.

Ces sept éléments forment une matrice suffisante pour créer un récit, mais ils sont pour certains bien trop flous en l’état pour pleinement les appréhender. C’est pour cela qu’il existe une méthode en 23 étapes selon John Truby… et peut-être qu’un jour on fera une troisième partie sur ce cher monsieur !

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