27 février 2025

La figure de l’antihéros

Les héros prennent beaucoup de place... Et pourtant ils ne fascinent pas autant que les antihéros.

Mathieu Begot

Il est grand, beau, fier, vêtu d’une cape et d’un slip par-dessus son juste au corps. C’est un héros et, pour l’article d’aujourd’hui, il ne nous intéresse pas.

Non, celui qui nous intéresse aujourd’hui est un personnage tout aussi important, mais un peu plus dérangeant, un peu plus sale, un peu plus… en dehors des normes. Aujourd’hui nous allons parler d’antihéros, de ce qui les définit, de comment les construire pour en faire des personnages à la fois repoussants et attirants au possible.

Et, avant de nous lancer, à ceux qui nous suivent sur Instagram : on sait que vous commencez à vous y connaître sur la question, mais cet article vous permettra de passer au niveau supérieur en termes de compréhension !

Et la question est vaste : comment définir un personnage que l’on oppose traditionnellement au héros, sans qu’il en soit l’inverse pour autant ? On joue très précisément sur cette nuance.

La figure héroïque existe depuis l’Antiquité grecque et, même si elle a évolué avec le temps, elle reste une figure excessivement codifiée (il y a les qualités héroïques, le voyage du héros, son évolution, etc, etc.). On parle généralement d’antihéros lorsqu’un personnage – le plus souvent l’un des principaux – malgré ses actes ou les évènements dans lesquels il est impliqué, ne peut être inclus dans la catégorie « héroïque ».

Rassurez-vous, cinq éléments permettent de distancier les antihéros des héros.

#1 Le rapport à la gloire

La gloire est centrale dans la question de l’héroïsme : le héros accomplit des actes et l’une des rétributions qu’il reçoit n’est autre que la gloire (et, oui, dans un binôme de type « Spiderman/Peter Parker », le héros (Spiderman) reçoit la gloire induite par ses actes, même s’il souhaite cacher sa véritable identité).

Les antihéros ont une relation bien plus conflictuelle à la gloire. Ce conflit peut s’organiser de trois manières :

  • L’antihéros refuse la gloire et, par refus, j’entends qu’il s’oppose à ce qu’il y ait un quelconque lien entre ses actes et sa personne. Les raisons de ce refus peuvent être objectives (même s’il a sauvé la ville, il sait qu’il ira en prison s’il est découvert) ou subjectives (il ne désire que retourner à sa vie d’avant et laisser ses aventures derrière lui) ;
  • L’antihéros accepte sa gloire, mais développe une sorte d’addiction. Cette addiction va lentement tordre sa psyché, comme par exemple en le poussant à causer ou préparer les situations qu’il résoudra dans le futur (libérer des vilains pour les arrêter) ;
  • L’antihéros n’a aucune interaction avec la gloire. Qu’il l’ignore complètement ou qu’il décide de ne pas la prendre en considération, l’antihéros n’accorde aucun intérêt à cette gloire (qui est pourtant la manière qu’ont les « autres » de le remercier).

#2 Les valeurs

Deuxième aspect de distanciation : les valeurs… Sauf qu’au contraire de ce qu’on pourrait penser, les valeurs de l’antihéros ne sont pas à l’opposé de celles des héros. Un antihéros peut croire en l’amour, être profondément bienveillant ou avoir la loyauté pour principale vertu !

La distanciation s’effectue parce que ces valeurs « héroïques » sont incomplètes ou exacerbées, si bien qu’elles vont lentement tordre la psyché du personnage antihéroïque, généralement des suites d’un évènement fort ! La bienveillance peut se transformer en un besoin de contrôle des autres personnages, l’amour guider vers la vengeance.

#3 Les motivations

Influencées, voire parfois même dictées, par les valeurs, les motivations des antihéros ne sont pas considérées comme nobles. On trouvera en tête de liste la vengeance ou encore assouvir des désirs égoïstes mélangés à un savant cocktail d’égocentrisme et de narcissisme

Mais le plus intéressant dans ces motivations est que c’est l’influence des valeurs du antihéros qui les rend « non noble ». On pourrait presque les voir comme une réécriture de motivations héroïques ! Un exemple ? Je vous en donnerai même deux :

  • Un héros voudra faire payer la grande entreprise qui a ravagé la campagne de son enfance, un antihéros voudra faire justice lui-même ;
  • Un héros désirera suivre sa voix intérieure… Voix intérieure qui sera la source de l’égocentrisme et du narcissisme de l’antihéros !

#4 Les méthodes

L’écart le plus fort et évident entre héros et antihéros, suite logique du jeu entre les valeurs et les motivations : les méthodes antihéroïques. Ces dernières font dépasser les limites morales que s’imposent les héros.

L’antihéros pratiquera sans mal le meurtre, la séduction, la manipulation de foules… Et si vous me dites que cela peut laisser un personnage dans la catégorie héroïque, alors, s’il vous plaît, dites m’en plus en commentaires !

#5 Les capacités

On le disait au début de cette partie : la catégorie héroïque est fortement codifiée depuis longtemps. Cette codification passe notamment par les capacités du héros (et on ne parle pas de super pouvoirs ici). Un héros doit être fort, endurant, rapide, habile, etc.

… Les antihéros n’y sont pas obligés. Un antihéros peut tout à fait être faible, lent, malhabile… Ou même faire la démonstration de capacités qu’un héros n’emploiera jamais (comme celle de tuer dix-sept personnes avec un coupe-ongle et un stylo plume).

Bon, maintenant que nous avons vu tous ces éléments qui forment une barrière entre héros et antihéros, plongeons un peu plus dans la figure pour elle-même.

Bon, l’antihéros n’est pas la première figure que nous traitons dans ce blog, et c’est à notre avantage ! L’antihéros est une figure de la littérature particulière en ce qu’elle ne porte virtuellement pas de fonction diégétique en elle-même.

Un mentor a pour rôle inhérent de former un autre personnage, un acolyte d’accompagner… Mais qu’en est-il de l’antihéros ? Quelle est la fonction « naturelle » qui relie tous les antihéros pour en faire un groupe cohérent ? Arrêtons la rhétorique : il n’y en a pas.

On pourrait dire que l’état d’antihéros est « incomplet » sur le plan diégétique… Et qu’il faudra donc le remplir avec plus d’attention !

Rassurez-vous, il existe tout de même des aspects qui font de l’antihéros une figure unie.

L’antihéros et son cadre

Qui dit histoire fictionnelle dit cadre dans lequel se déroule l’histoire. Ce cadre permet à l’histoire de se construire, aux personnages d’évoluer, à l’intrigue de se nouer pour se dénouer en suite…

Ce cadre n’est pas immuable, évidemment, mais il est composé d’un ensemble de règles, de codes, qui sont à la fois régis par eux-mêmes (une start-up reste une start-up) et par l’auteur (qui pourra influer sur certains aspects de la start-up, certaines de ses caractéristiques, pour la rendre propice au développement de l’histoire).

Et, entre les valeurs incomplètes ou extrêmes, les motivations distordues ou des capacités inadéquates ou inexistantes, l’antihéros a bien généralement du mal à s’insérer dans ce cadre… Ou, plus précisément, il n’y est pas tout à fait adapté.

C’est d’ailleurs ce qui fait une belle partie de la force des antihéros : ils progressent et accomplissent ce qu’ils ont à accomplir pour assouvir leurs désirs, et ce même s’ils ne sont pas adaptés, même s’ils ne devraient pas être des personnages qui fascinent tant de lecteurs.

Tiens d’ailleurs… Comment peut-on s’identifier à l’antihéros ?

L’assimilation au antihéros

Les héros sont des personnages forts, dans tous les sens du terme. Ils sont même si forts qu’ils affrontent le destin – qu’il soit personnifié ou non. Cette force extraordinaire les rend généralement difficiles d’accès en termes d’identification. On peut reconnaître chez nous l’une de nos qualités, mais pas se reconnaître en eux.

Le truc, c’est que les antihéros, eux, sont généralement bien plus simples d’accès. Pourquoi ? Parce que leur combat ne les oppose pas au destin, mais à des pans du cadre dans lequel il évolue. Alors oui, il y a beaucoup de choses qui sont problématiques chez les antihéros…

Mais comment ne pas être fasciné par un rebus du système qui combat la corruption par le crime ou un professeur de chimie gravement malade désespéré de commencer à « vivre » enfin (say his name) ?

Les antihéros, en ce sens, sont bien plus humains que les héros. Ils sont pourvus de désirs et de passions qu’ils souhaitent voir se réaliser et qu’importe le prix à payer ! Et c’est justement cette humanité, savamment mélangé à tout le côté antihéroïque dont nous parlons depuis le début de cet article, qui nous permet d’être à la fois fascinés et rebutés par les antihéros.

On vous parle depuis le début de cet article de tous les écarts possibles et imaginables qui existent chez les antihéros. Écarts au sein de la figure à cause de sa diversité, écart avec le héros, écart avec le cadre du roman, écart interne induit par le rapport entre fascination et dégoût, écart avec les autres fonctions dotées d’une fonction diégétique « naturelle »…

Mais l’antihéros n’est pas qu’une question d’écart ! C’est aussi un personnage et, à l’instar des autres figures que nous avons vu jusqu’à présent : il est censé évoluer… Il s’agira ici de voir tant l’évolution du personnage, que de sa perception par le lecteur !

Une fois n’est pas coutume : on vous a proposé une petite liste.

#1 L’humain s’enfonce dans l’antihéroïsme

La première configuration est la plus classique, puisqu’elle concerne l’établissement de l’antihéros. Comme nous l’avons dit plus tôt, les antihéros sont une combinaison de prédispositions (valeurs, capacités) et d’évènements déclencheurs qui vont, pour ainsi dire, tout faire partir en cacahuète.

Imaginez un personnage lambda dans votre roman. Ce personnage devra initialement avoir des prédispositions à l’antihéroïsme (valeurs distordues par exemple), et il faudra que ces traits soient suffisamment présentés pour que la dégénérescence qu’ils opèrent sur le personnage soient un minimum cohérents. Rebutants, mais cohérents.

Il faudra également que l’élément déclencheur touche directement ou indirectement à ces prédispositions, qu’il les titille pour déclencher le changement (la mort du chef pour un personnage loyal, par exemple).

Cette configuration, qui permet d’éloigner un personnage du droit chemin, est très à propos si vous désirez faire l’inverse du roman héroïque classique ! Elle peut rassembler tous les éléments, du personnage sans histoire, à l’initiation, sans oublier les épreuves ou encore l’acceptation de soi… Tout en prenant le sens inverse puisque votre personnage choisira la crasse, plutôt que les paillettes.

#2 L’antihéros gagne en humanité

Si la première configuration visait à l’établissement de l’antihéros, et s’axait principalement sur son développement, celle-ci en prend le contre-pied. Il s’agira d’humaniser l’antihéros peu à peu, ou plutôt de le ramener à un état où ses aspects antihéroïques ne sont plus seulement au service de ses désirs personnels.

Réussir ce glissement est bien plus complexe que le précédent, car il nécessite de mettre votre antihéros au contact d’un autre personnage, de tel sorte qu’il se sente de plus en plus attaché à lui, jusqu’à être utiliser ses caractéristiques d’antihéros pour cette personne (ce qui peut d’ailleurs donner toutes sortes de réactions de l’autre côté, de l’acceptation à l’incompréhension, sans oublier le refus).

Attention ! Il ne s’agit pas de faire de votre antihéros un personnage qui ne l’est plus, loin de là (enfin vous pouvez), mais de le reconnecter avec le cadre de votre roman.

Cette configuration fonctionnera mieux si les aspects antihéroïques de votre personnage sont une réalité de longue date pour lui, car cela complexifiera son changement et rendra l’influence de l’autre personnage plus authentique.

#3 Une plongée dans la complexité

Dans ce dernier cas, l’état d’antihéros n’évolue pas. Le personnage l’est du début à la fin, pour le meilleur et pour le pire. Ce qui évoluera, par contre, c’est sa perception par le lectorat (et seulement elle). Il s’agira, par le jeu de dialogues, de pensées ou encore d’actes de dévoiler toute la complexité d’un personnage antihéroïque, et ce sans chercher à le créer ou à l’éloigner de cet état.

Ce qui est extraordinaire est que cette configuration vous permettra tant de montrer qu’un antihéros meurtrier agit en fait pour la paix, ou qu’un séducteur est en réalité un pervers-narcissique.

Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’un tel travail peut également s’appliquer à un antihéros qui serait un personnage secondaire de votre roman. Il pourrait alors n’apparaître qu’en de rares occasions, mais dévoiler ses motivations au fur de ses apparitions !

L’antihéros est un personnage complexe, probablement plus que le héros. En prise avec ses désirs et passions, l’antihéros est en réalité très proche de son cousin héroïque, mais ce sont de petits écarts qui, disséminés un peu partout dans le personnage, lui interdisent d’entrer pleinement dans la catégorie héroïque.

Ce sont pourtant ces écarts qui font la force de l’antihéros, qui à la fois fascine le lecteur par la nature de son combat, mais le rebute par les méthodes employées ou les motivations derrière ce combat.

Le développement de l’antihéros sert d’ailleurs à jouer sur cette ambivalence, puisqu’il visera à l’accentuer, à l’atténuer, ou simplement à la rendre plus compréhensible par le lecteur !

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