Si vos personnages ne sont pas des patates, alors il peut leur arriver de PENSER. La question qui se
pose ensuite c’est : oui, mais comment retranscrire, à l’écrit, ces pensées ? Que ce soit un long
monologue intérieur, l’exploration d’un fil de conscience ou une simple remarque ironique que
préfère garder pour lui votre personnage, il y a plusieurs façons d’exprimer les pensées.
On s’est penché sur la question et on vous explique tout ! Ça commence avec un peu de théorie, j’ai
nommé :
L’analyse du discours
Qu’est-ce que l’analyse du discours ? C’est un outil de la stylistique qui dit, en gros, qu’il existe cinq façons différentes de retranscrire un discours. Dans la mesure où les pensées sont une forme de discours intérieur, et au cas où vous ne seriez pas familier avec l’analyse du discours, on va rapidement les passer en revue.
Pour que cette typologie soit le plus claire possible, on va prendre un exemple unique qu’on adaptera
à chaque fois au type de discours dont on parle.
En ce qui concerne l’exemple, je me suis dit qu’il fallait trouver un exemple qui mette en lumière un
sentiment à la fois profond et universel. Aussi, voici l’exemple à partir duquel on va travailler :
→Paul regarda la pizza et il se dit qu’il avait très faim.
Le discours direct
Lorsque le narrateur rend directement les paroles (pensées) telles qu’elles ont été prononcées (dans la
tête du personnage), on parle de discours direct.
Voilà, rien de très compliqué, seulement il existe beaucoup de façons différentes de rendre une
pensée au discours direct :
- Paul regarda la pizza. Qu’est-ce que j’ai faim ! se dit-il.
- Paul regarda la pizza : qu’est-ce que j’ai faim ! se dit-il.
- Paul regarda la pizza. « Qu’est-ce que j’ai faim ! » se dit-il.
- Paul regarda la pizza. Qu’est-ce que j’ai faim ! se dit-il.
- Paul regarda la pizza. Qu’est-ce que j’ai faim !
- Paul regarda la pizza. « Qu’est-ce que j’ai faim ! »
- Paul regarda la pizza. « Qu’est-ce que j’ai faim ! » se dit-il.
- Paul regarda la pizza. Il se dit : « Qu’est-ce que j’ai faim ! »
Premier point : Paul se dit à lui-même « Qu’est-ce que j’ai faim ! » plutôt que « J’ai très faim » ou
« J’avais très faim » parce que personne ne forme ainsi de pensées dans sa tête. Lors de l’emploi du
discours direct, il faut traduire sous forme de discours direct les pensées du personnage, c.-à-d. les
phrases que la petite voix dans sa tête lui dit.
Deuxième point : le nombre de combinaisons est plutôt élevé (comme vous avez pu le voir), aussi on
ne les verra pas toutes. Mais vous avez compris l’idée : à partir du moment où un passage est en
italique ou complété par une incise, le lecteur identifie cela comme étant une pensée, c.-à-d.
quelque chose que le personnage se dit à lui-même.
Quelle typographie utiliser alors ?
L’usage est à l’emploi de : soit l’italique, soit les incises, soit les incises et la mise entre guillemets
des pensées, mais pas tout ça en même en temps.
En effet : “Paul regarda la pizza. « Qu’est-ce que j’ai faim ! » se dit-il” Ça fait un peu lourd : il y a
une redondance dans les informations transmises par les différents signes typographiques
(guillemets, italique) et l’incise.
Dans tous les cas, cela dépendra de la charte utilisée par votre éditeur. Son objectif, avant tout le
reste, est de rendre la lecture la plus confortable possible à ses lecteurs. Aussi, si ces derniers sont
habitués à ce que des paroles mises en italiques renvoient aux pensées du personnage, même si vous
préférez utiliser des guillemets, vous devrez utiliser l’italique.
Si vous comptez utiliser le système [guillemets + incise] pour exprimer les pensées de vos personnages, vous feriez bien de ne pas utiliser le même système pour exprimer les paroles de vos personnages. (https://lufthunger-club.com/commentecrire-un-bon-dialogue) Votre lecteur pourrait avoir du mal à différencier vos dialogues des moments où vos personnages pensent et cela pourrait créer un inconfort de lecture.
Bon, le cas du discours direct était un peu long à couvrir. Promis, les prochains seront plus courts !
Le discours indirect
Lorsque le narrateur transforme les paroles (pensées) et ne les exprime pas tel qu’elles ont été prononcées (dans la tête du personnage) on parle de discours indirect.
Ça ressemble à ça :
→ Paul regarda la pizza. Il se dit qu’il avait très faim.
Rien de plus à ajouter sur ce type de discours là. On le reconnaît à l’emploi d’un verbe introducteur comme « il se dit que », « il pensa que »… etc. On verra plus loin quelle peut être son utilité, mais en
attendant, passons à mon type de discours préféré :
Le discours indirect libre
Quand on regarde le DD (discours direct) et le DI (discours indirect), on remarque qu’il y a des indicateurs qui nous montrent à quel type de discours on a affaire :
- DD : incises, italique, guillemets…
- DI : un verbe introducteur, comme « il se dit que », « il pense que »
Le DIL (discours indirect libre), ça ressemble à ça :
→Paul regarda la pizza. Qu’est-ce qu’il avait faim !
Le DIL est une sorte de mélange du DD et du DI. Du DD On retrouve la formulation au plus proche de celle des pensées du personnage. Du DI, on retrouve la troisième personne et l’adaptation au temps de la narration.
Le côté « libre » du DIL vient du fait qu’il n’a pas à être introduit par un verbe introducteur et ne porte pas non plus de marques typographiques. Ce qui est intéressant dans ce type de discours, c’est la proximité que l’on peut sentir avec les pensées du personnage : rien ne semble indiquer qu’elles ne sont pas portées par la voix du narrateur, pourtant c’est la voix du personnage que l’on entend.
Si on a, par exemple : ”Paul regarda la pizza. Il avait très faim.” on sent instinctivement que « Il avait très faim. » est porté par la voix du narrateur.
On verra un peu plus loin les « trucs et astuces » pour bien intégrer du DIL dans un texte, mais en attendant, continuons notre inventaire :
Le discours narrativisé
De son petit nom DN, le discours narrativisé consiste en la « narration » des pensées et non pas leur
retransmission. En gros, ça donnerait ça :
- Paul regarda la pizza. Il pensait à la manger.
ou
- Paul regarda la pizza. Il s’imaginait la dévorer.
ou
- Paul regarda la pizza. Cela lui fit prendre conscience de sa propre faim.
Il y aurait encore d’autres exemples possibles, mais je pense que vous avez compris : dans le cas du DN, le narrateur ne nous retransmet pas le discours que tient la petite voix dans la tête de Paul, mais « résume » ou « explique » ce qu’elle dit.
On arrive au bout, mais je vous préviens, le dernier type de discours est un peu spécial… C’est :
Le discours direct libre
Le DDL, c’est comme le DD sauf qu’il n’y a rien qui nous indique que c’est du discours direct : pas de marques typographiques, pas d’incises… Comment on fait pour faire la différence avec du DIL alors ?
Dans le cadre d’une narration avec un narrateur extradiégétique (extérieur à l’histoire, donc narration
à la troisième personne), on peut voir que c’est du discours direct libre grâce aux marques de personne, c.-à-d. l’emploi du « je », ou même du « tu » si le personnage s’interpelle lui-même. Si on est dans le cadre d’une narration au passé, le temps employé peut aussi être un indicateur.
→Paul regarda la pizza. Qu’est-ce que j’ai faim !
C’est pas beau, n’est-ce pas ? Ça écorche juste ce qu’il faut l’oreille pour qu’on ait l’impression que c’est grammaticalement incorrect. Pourtant, ça marche (grammaticalement, parce qu’esthétiquement, c’est complètement foiré).
Le DDL est très dur à utiliser, mais bien maîtrisé, ça dynamise vos récits avec une force que n’auront jamais toutes les pensées retransmises en italique. Pourquoi ? Parce qu’on est au plus proche des pensées du personnage. Alors si vous arrivez à retranscrire au DDL des pensées sans que votre lecteur ait à se creuser la tête pour comprendre que ce sont les pensées du personnage (et sans que ça lui écorche l’oreille non plus), c’est jackpot.
OK ! Vous connaissez maintenant les cinq types de discours, on peut passer à la partie vraiment
intéressante :
Comment bien utiliser les différents types de discours ?
On pourrait être tenté de penser qu’il faut choisir un type de discours et s’y tenir pour éviter de perturber le lecteur.
Selon moi, c’est vrai uniquement pour les choix typographiques liés au DD (guillemets ou italique). S’arrêter sur un seul type de discours, c’est se fermer la porte à beaucoup d’effets intéressants, en jouant notamment sur les différentes sensations que peuvent créer les différents discours chez un lecteur.
Allez, petit exemple (en couleur en plus) :
→Paul regarda la pizza. Qu’est-ce qu’il avait faim ! Mais bon, il devait faire bonne figure. Il se répétait qu’il devait attendre les autres.« Attends, sois pas malpoli. Laisse quelqu’un prendre la première part ! » Il se parlait à lui-même comme si ça pouvait lui faire passer la faim. Oui, il allait tenir le coup… Mais, après tout, peut-être que les autres attendaient, comme lui, que quelqu’un se serve en premier ? Non, il ne fallait pas penser ça ! Tu dois tenir le coup Paul, tu peux le faire ! Et tu verras, ce n’est qu’un mauvais moment à passer. La pizza ne t’en semblera que meilleure après !
DD
DI
DIL
DN
DDL
Ici, l’emploi de plusieurs (tous d’ailleurs) types de discours permet, outre d’apporter de la variation, d’amener la sensation que c’est une idée obsédante à cet instant : dans tous les cas (par tous les types
de discours), Paul ne pense qu’à cette pizza.
Voilà, on a vu qu’on pouvait utiliser tous les types de discours au sein d’un même texte. On va maintenant se pencher sur chacun d’entre eux et voir comment les utiliser au mieux.
Le DD ou l’art d’essayer de se convaincre
Quand vous formulez de façon claire une pensée, que vous avez l’impression de l’entendre, c’est souvent quelque chose dont vous essayez de vous convaincre : « je vais y arriver », « je devrais pas faire ça », « allez, encore un effort », etc. Mais cela vaut aussi pour les persuasions “négatives” : « je n’y arriverai jamais » par exemple. Le fait qu’il y ait une incise et/ou un marquage typographique peut renforcer le sentiment que ces paroles sont prononcées (dans sa tête) volontairement. Mais puisque l’écriture est une science totalement exacte, on peut aussi utiliser le DD pour des types de pensées qui n’ont rien à voir, comme les « paroles » du surmoi (si on se place dans une approche freudienne), ou alors pour exprimer une réaction de surprise de votre personnage qu’il préfère garder pour lui : “Oh mon Dieu, c’était ça depuis le début ?! se dit-il”.
Le D.I ou comment amener une conclusion détachée
Après avoir lu ce titre, Paul se dit que, effectivement, le DI permettait de faire sonner une pensée comme une conclusion. Avec juste ce qu’il faut de détachement pour que le lecteur ait le sentiment que cette conclusion est le résultat d’une certaine réflexion : « après calcul, c’est ça le résultat. »
L’emploi du DI peut aussi apporter un sentiment de gravité à la pensée que l’on retranscrit.
Le DIL ou comment mêler action et réflexion
Le DIL se mêle incroyablement bien aux séquences qui décrivent les actions d’un personnage et je vous encourage même à les mêler. Un peu à la façon dont on peut identifier le locuteur d’une réplique au sujet de la phrase narrative qui précède, montrer votre personnage en train de faire une action et enchaîner ensuite avec du DIL permet de dynamiser tout votre passage et d’illustrer par son comportement physique, les émotions du personnage :
→Paul se pencha sur ce dernier paragraphe. Il fronça les sourcils. Qu’est-ce que ça voulait dire tout ça ? L’auteur aurait pu faire un effort, on comprenait rien ! Paul fit claquer sa langue avec agacement. Eh bien même si c’était mal expliqué, il n’abandonnerait pas ! Il allait relire ce passage jusqu’à comprendre ce que ce fainéant d’auteur avait voulu dire par « mêler action et narration ».
Le DN ou comment mettre de la distance
Le DN peut être utile à la fois pour résumer une pensée (qui serait par exemple inintéressante ou trop longue à retranscrire), mais aussi pour créer un sentiment de distance vis-à-vis de cette pensée.
→Paul s’encourageait à relire, jusqu’à le comprendre, le passage précédent.
D’un point de vue factuel, les deux exemples précédents expriment la même idée. Pourtant, dans le
cas du DIL, on est aux côtés de Paul, en plein dans ses pensées. Dans le cas du DN, il y a une énorme
distance qui est mise entre le lecteur et les pensées du personnage.
On peut notamment utiliser ça pour faire sentir la distance entre le personnage et ce à quoi il pense :
→Paul (qui commençait à en avoir mare des discours rapportés) s’imaginait aller boire un coup.
On perçoit beaucoup mieux le fait qu’il ne peut pas y aller tout de suite (alors que ça n’est pas exprimé) que si on avait écrit : « il irait bien boire un coup ». (DIL)
Mais le DN peut aussi permettre de retranscrire certaines pensées qui échappent aux mots. Je suis convaincu qu’il vous est déjà arrivé d’avoir des pensées sur lesquelles vous aviez du mal à mettre des
mots. Eh bien si un de vos personnages se retrouve dans une situation similaire, le DN reste votre meilleur outil.
Le DDL ou l’art de faire crier la petite voix dans la tête du personnage
Peut-être que ce n’est pas votre cas, mais je trouve le DDL assez difficile à utiliser. En général, je commence toujours par un passage au DIL avant d’enchaîner avec du DDL pour graduellement faire taire la voix du narrateur et laisser celle du personnage s’imposer. Je ne peux pas m’empêcher de trouver une transition de type narration→DDL trop abrupte.
→Paul hocha la tête. Autant le DIL, ça va, il avait compris. Mais le DDL ? C’est encore un truc à se casser la tête dessus ça !
Alors, même si cet exemple n’est pas le meilleur, il permet d’illustrer l’idée de la petite voix qui crie : ce n’est pas tant qu’elle a un fort volume sonore, c’est qu’elle écrase celle du narrateur (que l’on sent encore un peu dans le DIL).
Ce qu’il faut retenir de tout ça
Il existe beaucoup d’autres emplois, pour chacun des types de discours, que ceux que je viens de citer. C’étaient principalement des exemples pour vous montrer qu’un type de discours peut être plus adapté qu’un autre à un type de pensée ou, plutôt, à une façon dont voulez que le lecteur perçoive une pensée.
Tout l’enjeu est de maîtriser suffisamment les différents types de discours pour que, lorsque vous voulez illustrer une émotion ou un mouvement de la pensée, vous sachiez vers quel discours vous diriger pour l’illustrer.
Et pour étendre mon propos, c’est d’ailleurs tout l’enjeu de la maîtrise des bases de l’écriture : connaître suffisamment ses outils pour déterminer lequel est le plus adapté pour créer l’effet que l’on veut créer chez le lecteur.
Ça aurait fait une super conclusion ça, hein ?
Oui, mais je vous ai gardé une petite surprise avant la fin !
« Et si mes personnages se parlent par télépathie, je fais comment ? »
Je regardai Paul. Il avait l’air effaré. J’essayai de sourire d’un air décontracté.
— Haha, mais qu’est-ce qu’il vont encore inventer ceux-là ! Hein, Paul ?
Paul s’efforça de sourire aussi.
— Oui, c’est sûr ! C’est vraiment n’importe quoi !
Discrètement, je posai deux doigts à mes tempes.
— Tu crois qu’ils ont découvert LE SECRET ?
Paul souriait toujours, l’air de rien, même si je voyais ses mâchoires se contracter.
— Impossible… On s’est débarrassé du seul témoin. Essaye de les endormir…
Je hochai la tête d’un air entendu et me tournai, tout sourire, vers le lecteur.
— Ah lecteur ! En vrai, la télépathie… bon, c’est comme tout un tas d’autres trucs auxquels j’ai pas nécessairement pensé : il te suffit de jouer un peu avec les typographies, les différents types de discours et voir ce qui marche. On en arrivera toujours à la même conclusion je crois… Connaître la théorie c’est important : ça te permet d’identifier les outils avec lesquels tu travailles et donc, t’offre la possibilité de concrétiser ce que tu parviens à imaginer. Mais à la fin, ce qui compte, c’est de jouer avec les règles, découvrir ce qui marche pour toi (et pour ton lecteur) et apprivoiser ces outils.
Ça y est… on a fini ? Enfin ?!
Eh oui !
Conclusion
Il est important de remarquer que je n’ai couvert ici que le cas de la retransmission des pensées d’un
personnage au sein d’une narration au passé à focalisation interne avec un narrateur extradiégétique. Dans le cas d’une narration au présent, le fait que l’on passe au passé à l’intérieur du DI et du DIL n’aurait pas été visible. De la même façon, le DIL et le DDL ne sont pas identifiables l’un de l’autre si l’on a un narrateur personnage (qui dit « je » donc).
Le cas que l’on a couvert ici me semblait donc illustrer au mieux les différents types de discours, comment ils fonctionnent, et comment les utiliser. Si vous partez pour une narration différente, les ajustements ne devraient pas poser problème. Mais si ça devait être le cas, n’hésitez pas à poser vos questions en commentaire ! Je pourrai peut-être vous aider.
D’ailleurs, si vous avez développé une technique dont je n’ai pas parlé pour retranscrire les pensées
des personnages, commentez-la aussi !