Astuce d’écrivain #1 : la Prétérition

La prétérition, ou l'art de ne pas dire ce que l'on est en train de dire, et comment s'en servir dans son roman !
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Nicolas Parisi
Cofondateur du Club, auteur de nouvelles parues dans diverses revues, je m’intéresse particulièrement à la stylistique et ses applications pratiques à l’écriture. En lire plus

Astuce d’écrivain #1 : la Prétérition

La prétérition, ou l'art de ne pas dire ce que l'on est en train de dire, et comment s'en servir dans son roman !

Astuce d’écrivain #1 : la Prétérition

La prétérition, ou l'art de ne pas dire ce que l'on est en train de dire, et comment s'en servir dans son roman !
Une photo du nom de la rose, dont l'auteur est un pro de la prétérition

Les astuces d’écrivain, c’est un peu les cartes qu’on a cachées dans sa manche : on s’en sert quand la partie semble ne pas aller dans un sens qui nous arrange.

 

Un de vos chapitres refuse de fonctionner malgré toutes vos réécritures, vous ne savez pas comment aborder telle scène ou une incohérence traîne dans votre scénario… c’est le moment de sortir une astuce de votre manche.

 

Et on commence cette série par la PRÉTÉRITION.

C’est quoi la prétérition ?

Je pourrais vous dire que la prétérition est ce qui fait que le roman Le nom de la rose d’Umberto Eco reste lisible même par des lecteurs occasionnels, je pourrais aussi vous dire que c’est une figure très communément utilisée dans la rhétorique pour mettre une distance entre certains des propos qu’on tient et nous-mêmes… mais est-ce que ça vous intéresse réellement tout ça ?

 

Non, bien sûr que non ! Ce qui vous intéresse, c’est de savoir comment ça marche et à quoi ça peut vous servir !

 

Mais pour ça, il faut déjà définir ce qu’est la prétérition.

 

Concrètement, la prétérition, c’est l’art de ne pas dire ce qu’on est en train de dire : on annonce qu’on ne va pas parler de quelque chose et, ce faisant, on parle de la chose en question. Un peu comme ce que j’ai fait en intro de cette partie.

 

OK, c’est très sympa tout ça me direz-vous, mais à quoi ça peut nous servir les prétéritions dans le cadre de l’écriture ?

La prétérition pour transmettre des informations

Dans le cadre d’un roman ou d’une nouvelle, la prétérition va principalement servir à donner des informations au lecteur sans pour autant rompre « l’illusion romanesque » ou le rythme de l’histoire.


C’est particulièrement utile dans le cadre de la SFFF ou des romans qui se déroulent dans un contexte peu familier du lecteur.

 

Dans ces deux cas, pour pouvoir apprécier l’histoire et ce qu’il se passe, le lecteur doit avoir accès à certaines informations et connaissances qui peuvent ne pas être communes.


Or, je crois qu’il n’est pas utile de rappeler que les lecteurs, lorsqu’ils lisent votre livre, n’ont pas nécessairement envie de tomber sur des passages dignes de quelques encyclopédies ou cours magistraux.

 

Donc, comment transmettre ces informations essentielles sans pour autant assommer le lecteur ?

 

Plusieurs techniques existent (dont certaines que l’on a détaillées dans nos articles concernant le worldbuilding et ses dangers), mais lorsque vous ne voulez pas vous prendre la tête, le plus simple reste d’utiliser une prétérition.

 

Umberto Eco expliquait dans l’Apostille à la fin du Nom de la rose que le recours à la prétérition était selon lui ce qui avait permis à son roman d’être apprécié par un public n’ayant pas nécessairement beaucoup de connaissances de la période à laquelle se déroulait l’histoire.

Intensifier des descriptions

Une autre utilité est aussi de rajouter de l’intensité à un propos en l’introduisant par « je serais bien incapable de vous dire à quel point… » (ou toute autre formule signifiant l’incapacité à cerner la chose par les mots).

 

Ça fonctionne dans beaucoup de contextes différents :

 

  • Vous voulez montrer que votre personnage est triste ? ⇒ Les mots ne suffisent pas à exprimer à quel point la tristesse l’accablait.

 

  • Vous voulez un arbre très joli ? ⇒ Il serait impossible de décrire la majesté avec laquelle les branches de cet arbre s’élevaient vers le ciel.

 

  • Vous voulez décrire un truc sordide ? ⇒ Personne de sain d’esprit ne saurait décrire l’horreur que l’on ressentait en rentrant dans cette pièce.

Marquer le caractère évident et mettre à distance

L’usage le plus commun de la prétérition reste rhétorique. Il peut s’agir de poser une assertion comme étant incontestable, sans autant à avoir à la démontrer.


Je pourrais bien entendu vous prouver ce point, mais je pense que ce serait faire insulte à votre intelligence que de vous expliquer quelque chose de si évident.

 

D’une autre manière, la prétérition permet aussi de mettre de la distance entre soi et ce qu’on dit (en affirmant qu’on ne le dit pas) :


Je ne dis pas que mon exemple précédent était parfait, mais il était plutôt cool.

Comment faire une prétérition ?

Grammaticalement, il y a deux façons de faire : soit employer le conditionnel, soit la négation.

 

On peut tout aussi bien dire :

 

  • Je ne dis pas que cette phrase est un bon exemple, mais…

 

que :

 

  • Je pourrais vous dire que cette phrase est un bon exemple, mais…

 

C’est donc facile de faire une prétérition. Le problème se pose dans son usage…

Prétérition et narrateur

Dans la mesure où c’est une figure de rhétorique, elle donne une véritable consistance à votre narrateur.

 

Si votre objectif est de faire en sorte que sa voix soit la plus discrète possible (dans l’idée de maintenir une illusion romanesque forte par exemple), il vaudra mieux vous abstenir d’employer la prétérition.

 

Cependant, si votre narrateur est aussi un personnage, c’est jackpot. Évidemment il faudra faire attention à ne pas mettre des prétéritions à chaque paragraphe ou votre lecteur va finir par le remarquer et arrêter là sa lecture.

 

Néanmoins, en tant qu’astuce (c’est-à-dire qu’on l’utilise pas toutes les trois phrases) pour transmettre des infos ou faire une description intense, n’hésitez pas à faire une prétérition.

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